Le plaisir du soldat en Indochine

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Le sujet de cet article se heurte à de nombreuses difficultés à cause de sa richesse et de l'attitude des témoins. Dans l'historiographie de la guerre d'Indochine, la vie sexuelle des combattants du C.E.F.E.O. appartient aux thèmes quasiment inexplorés (...)

Pourtant, la satisfaction du repos du guerrier remplit de très nombreux cartons d'archives (Services de santé, Services sociaux, rapports de commandement et de police, synthèses sur le moral...), ce qui montre bien l'importance du problème dans son ensemble.

Fantasmes, réalités et constat

Les premiers partants de la période 1945-1947 étaient des hommes insouciants, ne disposant pratiquement d'aucune information sur les Indochinoises. Ils imaginaient des femmes plutôt belles...

« au teint jaune, aux yeux bridés, aux longs cheveux noirs ».

Les combattants du C.E.F.E.O. (Corps expéditionnaire français d'Extrême-Orient), jeunes et célibataires pour une grande majorité, furent immédiatement conquis par les Indochinoises, surtout par les charmes des Vietnamiennes qu'on appelle les Annamites, comme dans la chanson qui trotte encore dans les têtes.

Les personnels féminins français restaient essentielement au contact des officiers d'état-major.

La guerre ayant fait exploser la prostitution clandestine (déplacements, destruction de villages, veuvage), le Vietminh, enrôlait de nombreuses jeunes femmes comme agents de renseignements.

Prudemment, les combattants trouvèrent l'assouvissement de leur libido auprès des prostituées régulières, pensionnaires des B.M.C. (Bordel militaire de campagne) et auprès des congay.

L'encongaillage

L'encongaillage, qui signifie avoir des relations suivies et privilégiées avec une autochtone, participait à l'adoucissement du quotidien du soldat. Souvent autour des postes, dans le cadre de la pacification, mais aussi dans les villes, des liens étroits se nouaient entre une Indochinoise et un militaire, car cela toucha toutes les composantes des troupes.

Certaines étaient louées à la semaine ou au mois, d'autres appartenaient quasiment au poste. Quand un titulaire partait, la congay faisait partie de l'héritage du suivant. Ce système fut très souvent interdit mais la répétition des notes de service et la distance entre le réglementaire et les habitudes firent que l'encongaillage devint un corrollaire des TFEO.

Il permettait de donner aux hommes une certaine stabilité affective, d'éviter la fréquentation des prostituées clandestines, de tisser des liens avec les villageois dans le cadre de la pacification. On vit même des chefs d'unité obligés de prendre une femme indigène pour pouvoir lever des hommes dans les villages.

La congay était donc, le plus souvent, une marchandise d'échanges. L'encongaillage, enracina les combattants dans le pays, leur permettant de tenir dans les secteurs les plus perdus.

À plusieurs reprises, les responsables militaires l'interdirent, menaçant les militaires de punitions et les autochtones d'être considérées comme des prostituées clandestines. Mais les commandements locaux l'acceptaient à condition que la femme soit surveillée médicalement.

Sans une présentation volontaire de sa part au Service de santé, elle pouvait être considérée et traitée comme une prostituée clandestine.

Le B.M.C.

Dès 1946, le système des B.M.C. devint la solution privilégiée. Au sein des bordels militaires de campagne (BMC), contrôlés par l'armée, les pensionnaires étaient soumises à deux visites médicales hebdomadaires. Les uns étaient fixes, attachés à une base ou à une localité, les autres appartenaient en propre à une unité, et certains se déplaçaient de poste en poste.

On vit même des B.M.C. provisoires comme ceux qui existèrent à Nasan et à Diên Biên Phû. Il y en avait pour les hommes de troupe, d'autres pour les sous-officiers, et quelques-uns étaient réservés aux officiers. Le B.M.C. était un petit monde très organisé avec ses règlements, son personnel et ses modes de fonctionnement très précis.

Les pensionnaires se recrutaient parmi les autochtones mais, pour satisfaire les soldats d'Afrique, on fit venir des femmes du Maghreb.

Les B.M.C. permirent de faire face aux épidémies de maladies vénériennes ; on relève néanmoins des pathologies contractées en leur sein. Les hommes fréquentaient le B.M.C. en même temps que des prostituées clandestines et répandaient ainsi les affections tout en se dédouanant auprès de leurs supérieurs, puisque tout malade infecté hors d'un B.M.C. était puni.

L'arrivée du B.M.C. dans les postes, réjouissait les cœurs, et, au contraire, tout retard agaçait les personnels et qui déterminait des sautes d'humeur et des formes de mauvais esprit, voire de l'irritabilité.

D'après : Les combattants français face à la guerre d'Indochine (1945-1954), par Michel Bodin.

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Le plaisir du soldat en Indochine

Quelques abbréviations :

BMC : Bordel militaire de campagne.

CEFEO : Corps expéditionnaire français d'Extrême-Orient.

DIC : Division d'infanterie coloniale.

GM/2e DB : Groupement de marche de la 2e division blindée.

REI : Régiment d'infanterie étranger.

SHAA : Service historique de l'Armée de l'air.

SHAT : Service historique de l'Armée de terre.

TFEO : Troupes françaises d'Extrême-Orient.

Le plaisir du soldat pendant la guerre d'Indochine doit être replacé dans le contexte de la satisfaction du "repos du guerrier" et de l'exotisme colonial.

Les combattants de toutes origines furent séduits par les charmes des autochtones mais peu d'entre eux eurent de rapports avec des femmes honnêtes.

Les militaires eurent la plupart du temps affaire à des femmes vénales, des prostituées et des congay.

Cela ancra encore plus les combattants dans le pays, alimentant ainsi une nostalgie typique des anciens du CEFEO, le Mal jaune.

Le péril vénérien, fléau TFEO

Cependant, une multitude de maladies vénériennes occasionaient un encombrement des services sanitaires, un affaiblissement des TFEO ainsi que des problèmes de discipline.

Au total, 288 036 cas de maladies vénériennes, ont été recensés dont 207 887 en Indochine même. Début 1945, le péril vénérien frappe peu car la plupart des prostituées avaient été arrêtées par les Anglais.

Mais le besoin urgent en effectifs explique que les visites médicales d'incorporation aient pu négliger les porteurs d'une affection vénérienne qui se retrouvaient responsables de contaminations en chaîne, en Indochine.

Certaines maladies étaient contractées juste avant l'embarquement, autour des centres de rassemblement, à Marseille ou Fréjus. Sur le Pasteur, en avril 1949, on dénombre 151 vénériens, dont 108 nouveaux malades.

Le Service de santé commanda aux Anglais 2 millions de préservatifs. En dépit de cela, ceux-ci manquèrent et, fin 1945, les TFEO attendaient toujours leur livraison.

À partir de 1951, les services de santé se livrèrent à des dépistages plus sévères. Cela concourut à une baisse du nombre des infectés : de 8,9 % en 1946 à 6,5 % en 1952 chez les Européens.

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Michel Bodin - « Le plaisir du soldat en Indochine (1945-1954) », Guerres mondiales et conflits contemporains 2/2006 (n° 222), p. 7-18. www.cairn.info