Ce simple exposé, tout concis qu'il est, fait voir avec quel art et quelle assurance le magnétisme animal est présenté.
On a mêlé quelques vérités de faits et d'observations avec de prétendus résultats d'un principe purement hypothétique, et l'on est parvenu à former un corps de doctrine qui en impose, même à des médecins éclairés.
L'art des commissaires consiste à suivre la chaîne des raisonnements, à reconnaître les endroits où elle est interrompue, à poser des faits avant de raisonner.
Une bonne logique ne permet pas d'admettre de nouveaux principes pour expliquer des faits, lorsqu'ils peuvent s'expliquer par d'autres principes déjà connus. Nous n'admettrons donc le magnétisme animal qu'autant qu'il présentera des effets qui ne pourront se rapporter à aucune autre cause.
Nous examinerons si l'imagination seule, sans magnétisme, ne pourrait pas en produire de semblables, et nous nous attacherons en conséquence à faire une suite d'expériences sur le magnétisme séparé de l'imagination et sur l'imagination séparée du magnétisme. Ces réflexions m'ont suggéré le plan qui suit.
Les commissaires nommés par le roi pour l'examen de la méthode de M. Deslon en ont déjà vu assez pour être en droit de soupçonner que tous les effets qu'il produit peuvent s'expliquer sans introduire dans la physique et dans la médecine un fluide animal magnétique dont aucun fait positif ne démontre l'existence, qui ne jouit d'aucune des propriétés des autres fluides connus ; et auquel on en suppose gratuitement d'incompatibles les unes avec les autres et avec tout ce que l'on connaît.
Les moyens qu'emploie M. Deslon se réduisent principalement à deux : l'attouchement et la prétendue émission d'un fluide que l'on conduit et que l'on condense, soit avec le doigt, soit avec une petite verge de fer. Nous n'avons vu produire par ces deux moyens qu'un seul effet : il consiste à faire tomber quelques personnes dans des états convulsifs, mais sans qu'il résulte d'altération dans le pouls, ni de dérangement dans la santé. Mais on sait que la seule imagination, frappée ou prévenue à un certain point, suffit pour produire ces effets, qu'il existe une foule d'exemples de convulsions imitatives ; à plus forte raison, l'attouchement peut-il agir quand ses effets sont réunis à ceux de l'imagination.
L'art de conclure d'après des expériences et des observations consiste à évaluer des probabilités, et à estimer si elles sont assez grandes ou assez multipliées pour constituer des preuves. Ce genre de calcul est plus compliqué et plus difficile qu'on ne pense ; il demande une grande sagacité et il est en général au-dessus des forces du commun des hommes. C'est sur leurs erreurs dans cette espace de calcul qu'est fondé le succès des charlatans, des sorciers, des alchimistes ; que l'ont été autrefois ceux des magiciens, des enchanteurs et de tous ceux en général qui s'abusent eux-mêmes ou qui cherchent à abuser de la crédulité publique.
C'est surtout en médecine que la difficulté d'évaluer les probabilités est plus grande. Comme le principe de la vie est dans les animaux une force toujours agissante qui tend continuellement à vaincre les obstacles, que la nature, abandonnée à ses propres forces, guérit un grand nombre de maladies ; lorsqu'on emploie des remèdes, il est infiniment difficile de déterminer ce qui appartient à la nature ou ce qui appartient au remède.
Ainsi, tandis que la multitude regarde la guérison d'une maladie comme une preuve de l'efficacité du remède, il n'en résulte, aux yeux d'un homme sage, qu'un degré plus ou moins grand de probabilité, et cette probabilité ne peut se convertir en certitude que par un grand nombre de faits de même espèce.
Ces réflexions ont frappé messieurs les commissaires du magnétisme, et ils ont reconnu que, pour prouver méthodiquement l'existence du magnétisme par la curation des maladies, il faudrait peut-être la vie de plusieurs hommes. Ils ont donc rejeté un genre de preuve qui pouvait les conduire à admettre un agent qui n'a point de réalité ; ils ont pensé qu'il fallait plutôt remonter à la source et prouver que le magnétisme n'existait pas, pour être en droit d'en conclure que les curations qu'on lui attribue ne lui étaient pas dues.
Ce genre d'expériences une fois exclu, la marche que les commissaires ont à suivre est simple et se présente d'elle-même. La manière d'opérer des partisans du magnétisme consiste dans deux choses : 1° dans des attouchements ; 2° dans différents procédés pour faire passer le fluide magnétique d'un corps dans un autre à quelque distance ; et le résultat dans les deux cas est de faire tomber le malade sur lequel ou opère dans l'état qu'on nomme crise, c'est-à-dire de lui donner des convulsions ; mais pour conclure que les convulsions qu'éprouvent les personnes très-sensibles sont dues à un agent particulier, à un fluide magnétique, il faudrait qu'on ne pût attribuer les convulsions qu'elles éprouvent qu'à cette seule cause. Car, en bonne logique, quand un effet peut dépendre de plusieurs causes, il n'est pas permis de conclure qu'il appartient plutôt à l'une qu'a l'autre.
Or on sait que la moindre contradiction, la moindre contrainte, l'imagination exaltée, suffit pour donner des convulsions aux personnes très-sensibles, qu'il existe d'ailleurs des convulsions imitatives, comme le bâillement, qui se communiquent d'une personne à l'autre.
Si donc les effets du magnétisme, et les convulsions qui en sont quelquefois les suites, peuvent également s'expliquer par l'effet de l'imagination frappée ou exaltée, toute l'attention des commissaires doit se porter à distinguer dans le magnétisme ce qui tient à des causes physiques d'avec ce qui tient à des causes morales, les effets d'un agent réel d'avec ceux dus à l'imagination.
Il n'y a qu'un seul moyen pour arriver à ce but, c'est de magnétiser des personnes très-sensibles à leur insu, et de leur persuader qu'on les magnétise tandis qu'on ne les magnétisera pas.
En réunissant ces deux genres d'expériences, on obtiendra séparément les effets du magnétisme et ceux de l'imagination, et l'on en pourra conclure ce qui doit être attribué à l'un et à l'autre.
Toute expérience qui s'écartera de ce plan obscurcira la matière au lieu de l'éclaircir ; car, dans les sciences et dans les arts, une seule expérience concluante est plus précieuse qu'un grand nombre d'autres qui ne vont pas directement au but.