MAGNÉTISME ANIMAL
HYPNOSE
SOMNAMBULISME

Moeurs intimes du passé :

AUTOUR DU BAQUET DE MESMER

Docteur Cabanès (Augustin 1862-1928).

Relation catalogue.bnf.fr

Moeurs intimes du passé, (Quatrième série)

Éditeur : Albin Michel (Paris) 1908-1936, monographie imprimée.

Relation Gallica.bnf.fr

Ouvrage illustré de 74 gravures

TABLE DES MATIÈRES :

LA VIE D'ÉTUDIANT AU MOYEN AGE 1

LA VIE D'ÉTUDIANT A LA RENAISSANCE 99

LA VIE D'ÉTUDIANT AU TEMPS DE MOLIÈRE .189

LA VIE D'ÉTUDIANT AU TEMPS DE VOLTAIRE 227

LA VIE D'ÉTUDIANT A LA FIN DU RÈGNE DE LOUIS XV. . . . 248

LES PREMIERS MUSÉES ANATOMIQUES 283

LES FEMMES DU MONDE AUX COURS DE MÉDECINE 311

AUTOUR DU BAQUET DE MESMER. 343

LA VIE D'ÉTUDIANT SOUS LE PREMIER EMPIRE 393

LA VIE D'ÉTUDIANT SOUS LA RESTAURATION 437

LA VIE D'ÉTUDIANT EN 1830. . 452

LA VIE D'ÉTUDIANT, DE MURGER A NOS JOURS 465

TABLE DES GRAVURES 485

I

N'est-il pas reconnu que, dans le temps même où l'homme semble vouloir se libérer de la religion, il soit plus enclin à cette faiblesse qu'est la superstition ?

N'est-ce pas au siècle philosophique, au siècle des esprits forts, que le merveilleux trouva le plus d'adeptes ?

Des âmes éprises de mystère, toutes les époques en ont connu; mais n'est-ce pas un sujet d'étonnement que ce « besoin furieux de surnaturel », qui pousse aux pratiques les plus étranges une société avide de s'instruire, mais à qui la Science n'apporte qu'un aliment insuffisant ?

Les femmes, à cette époque, autant que les hommes, se targuent d'incrédulité, mais elles croient aux horoscopes et à la pierre philosophale.

Et les plus affranchies, ou qui paraissent l'être, n'échappent pas à la folie ambiante.

Telle croit à la corde de pendu ; telle autre s'épouvante du sel renversé ou des fourchettes en croix.

La curiosité du diable les travaille tellement, pour la plupart, qu'elles font, pendant des heures, antichambre chez la diseuse de bonne aventure ou la tireuse de cartes, quand elles n'assistent pas à des séances d'évocation, où elles attendent, avec une patience exemplaire, que Satan daigne se présenter, paré de tous ses attributs.

Et ce ne sont pas allégations vaines ou affirmations téméraires : les témoignages abondent et leur choix seul nous cause de l'embarras.

C'est Mme de Pompadour, qui s'échappe la nuit du palais où les gardes sommeillent, pour aller consulter la Bontemps, qui lit l'avenir dans le marc de café.

C'est la princesse de Conti, qui tient des assemblées où des bergers amènent des lièvres possédés de l'esprit malin; tandis que, chez Mme de Charolais, au château de Madrid, on renouvelle au naturel les scènes les plus impudiques du sabbat (V. les Mémoires de Richelieu, t. VII).

Au milieu du dix-huitième siècle, Louis XV régnant et Voltaire vivant encore, un M. de la Fosse se flatte de faire voir le diable, un diable de la meilleure compagnie, à un groupe de femmes avides de l'approcher, d'entrer avec lui en conversation; et les voilà partis en expédition vers les carrières de Montmartre, où le rendez-vous est donné !

Aucune déception ne les arrête ; il semble que l'échec des unes encourage les autres à plus de hardiesse.

La mystification de M. de la Fosse est à peine éventée, qu'on se divertit de la mésaventure de deux marquises, cruellement punies de leur trop vive curiosité.

La marquise de l'Hospital et la marquise de la Force ont voulu faire connaissance avec Lucifer ; la sorcière les prévient qu'elles ne le verront qu'une fois déshabillées ; elles se laissent docilement dépouiller, par la mégère, de leurs vêtements, de leur linge, de leur bourse, et elles sont abandonnées dans cet état de nudité, qu'un exempt est appelé à constater (Mémoires de d'Argenson, t. IV).

Il y a, chez la femme, comme une impatience de se livrer aux thaumaturges; elle appelle la jonglerie, elle y aspire, elle s'y voue (La Femme au dix-huitième siècle, par E. et J. De Goncourt, ch. XI (Paris, 1877).

Une amie de la duchesse de Bourbon écrit qu'on ne voit autour de soi que des prophètes, des sorciers, des nécromanciens (La Mère du duc d'Enghien, par le comte Ducos, ch. IX, Paris, 1900).

A peine a-t-on fini de jaser du comte de Saint-Germain, celui qui parlait de Charles-Quint, de François Ier, de Jésus-Christ, comme s'ils étaient ses contemporains, qu'on annonce l'arrivée de l'extraordinaire Cagliostro, qui prétend détenir les plus admirables secrets.

D'où sort donc cet aventurier qui fait tourner toutes les têtes ? C'est à qui, parmi les chroniqueurs, voudra en paraître le mieux instruit.

« On a soupçonné longtemps le comte de Cagliostro d'être un valet de chambre de ce fameux M. de Saint-Germain, qui fit tant parler de lui sous le règne de Mme Pompadour, écrit le gazetier Grimm.

On croit aujourd'hui qu'il est le fils d'un directeur des mines de Lima; ce qu'il y a de certain, c'est qu'il a l'accent espagnol (quatre ans plus tard, on lui trouvera l'accent napolitain), et qu'il paraît fort riche.

Un jour qu'on le pressait, chez Mme la comtesse de Brienne, de s'expliquer sur l'origine d'une existence si surprenante et si mystérieuse, il répondit en riant :

« Tout ce que je puis dire, c'est que je suis né au milieu de la mer Rouge et que j'ai été élevé sous les ruines d'une pyramide d'Egypte ; c'est là, qu'abandonné de mes parents, j'ai trouvé un bon vieillard qui a pris soin de moi ; je tiens de lui tout ce que je sais. »

C'est de l'engouement, presque de l'idolâtrie pour ce personnage bizarre, dont nul ne connaît les origines, ne soupçonne la nationalité.

« Vous avez peut-être déjà entendu parler du comte Cagliostro, qui est ici, mandait de Versailles une dame de la Cour. C'est un homme bien singulier.

On ne sait de quelle religion, ni de quelle nation il est ; il n'est en relation ni en correspondance avec personne, n'est adressé à aucun banquier, ne reçoit aucune lettre de change, vit bien, paye bien, fait des charités incroyables, a une femme, plusieurs domestiques, sans qu'on sache où il prend pour fournir à toute cette dépense.

Mais ce qui a fait sa plus grande réputation, c'est le concours incroyable de tous les malades qui viennent souvent, même de fort loin, sur lesquels il fait les cures les plus merveilleuses et réellement innombrables, sans jamais prendre un sol de qui que ce soit, pauvre ou riche...

Il y a déjà plusieurs mois que nous voyons tous les jours la même chose ; en tâtant le pouls, il dit tous les maux qu'on a, et ceux qu'on a eus ; il avertit même de ceux dont on est menacé, et les moyens de les éviter ou prévenir.

Je ne vous parle pas de ses autres connaissances, qui sont incompréhensibles.

On parle toujours de la curiosité féminine, eh bien ! cet homme extraordinaire est dans la même ville que moi ; je n'entends parler que de lui; il vient dans ma maison pour la fille borgne de M. de Belandt, et je n'ai pas encore vu sa physionomie.

Qu'on dise encore que les femmes sont curieuses ! »

(Correspondance inédite du prince François-Xavier de Saxe, par Thévekot, 94 et suiv.)

Ce qu'on nous dit du désintéressement du bonhomme se trouve confirmé par ailleurs.

A la sollicitation du cardinal de Rohan - le cardinal avait installé des collections de physique et d'histoire naturelle dans son palais de Saverne. Il s'intéressait beaucoup et principalement à la chimie et à la botanique (cf. Funck-Brentano, l'Affaire du collier, 2e édit., 80 et 96)- Cagliostro a fait le voyage de Strasbourg à Paris, pour voir le prince de Soubise, dangereusement malade; il était déjà convalescent quand on lui annonça son sauveur.

Mais qu'on se garde de conclure qu'il ne recherche que la clientèle des princes; les petites gens étaient sûres de trouver accueil auprès du guérisseur.

« Quelques personnes de la société de M. le cardinal, qui ont été à portée de le consulter, se sont fort bien trouvées de ses ordonnances et n'ont jamais pu parvenir à lui faire accepter la moindre marque de leur reconnaissance. »

Qui parle ainsi ? Un de ceux qui ont été témoins de ses cures et qui s'empresse de rendre hommage à sa bienfaisance, à sa sollicitude pour les malheureux.

Quels étaient les remèdes dont le rusé com- père faisait usage ? Un hasard providentiel nous en a fait découvrir la formule, que les bio- graphes les mieux informés nous avaient laissé ignorer (V. le Bulletin de pharmacie, 3e année, n° XII, décembre 1813, 576 et suiv.).

Celui qui nous renseigne prétend avoir fait connaissance de Cagliostro lors du procès du collier.

« J'étais, écrit-il, alors, à Paris, et je voyais souvent un seigneur allemand, l'un des plus zélés adeptes de l'illuminé Napolitain.

Ce seigneur avait depuis longtemps un catarrhe sur la poitrine, et son médecin commençait à craindre que cette affection n'eût une issue fâcheuse, lorsque Cagliostro entreprit la cure de son disciple.

En huit jours, le seigneur fut rétabli.

Le seul remède qu'il avait pris était un électuaire pectoral, à la dose d'une cuillerée à café, le matin à jeun.

Je demandai au comte sa recette. Il me la donna sans difficulté. La voici :

Manne en larmes.... 2 onces.

Suc de réglisse purifié et Huile de sucre candi.... ââ demi-once.

Depuis, je me suis souvent servi pour moi-même de cette préparation, elle m'a réussi. »

Une lettre ultérieure de M. P... E... nous apprend que l'huile de sucre candi se prépare de la même manière que l'huile de myrrhe. On coupe en deux un oeuf dur, on enlève le jaune, on met à la place du sucre candi en poudre, on rejoint les deux moitiés de l'oeuf, qu'on noue avec un fil et qu'on sus- pend a la cave au-dessus d'un vase. Au bout de quelque- temps, il en découle une liqueur sucrée : c'est l'huile de sucre candi.

Le comte avait l'habitude de priser du tabac ; le matin, on lui voyait une très belle boite, dans laquelle était une poudre sternutatoire, dont il faisait usage et dont il obtenait, disait-il, de très bons effets.

Curieux d'en connaître la composition, l'auteur de notre récit en demande à Cagliostro la recette ; celui-ci s'empresse de satisfaire sa curiosité.

« Cette poudre céphalique, lui dit-il, n'est autre chose que le mélange suivant :

Racine de pyrèthre, Racine d'ellébore blanc, Feuilles de bétoine, Semences d'anis, Semences de fenouil, Fumeterre . . . ââ 1 once [de chaque].

On fait avec ces substances une poudre moyenne, et l'on ajoute huit grains d'ambre gris par once du mélange. »

Cagliostro, voyant qu'il recueillait avec tant de soins les formules qu'il employait, dit à son interlocuteur :

« Monsieur P... E..., ne vous gênez pas avec moi, je ne fais point mystère des moyens que j'emploie.

La médecine n'est pour moi qu'une occasion de rendre service; si vous croyez pouvoir appliquer utilement mes recettes, je vous les offre bien volontiers. »

A ces mots, il prit dans son portefeuille deux formules, et ajouta :

« Voici une poudre purgative, très efficace et très commode, parce qu'elle n'entraîne point de dégoût avec elle. Prenez :

Séné mondé, Crème de tartre . . . ââ 2 onces.

Semences de fenouil, Semences d'anis. . ââ demi-once.

Diagrède... 3 drachmes.

« Faites du tout une poudre très fine et très égale. La dose est d'un gros pour les adultes et d'un demi-gros pour les enfants. Après avoir pris la poudre, il faut boire un bouillon gras. »

Cette autre formule, à laquelle Cagliostro attachait plus de prix encore qu'aux précédentes, est celle d'un électuaire antivénérien,

« qui convient parfaitement dans les maladies syphilitiques an ciennes, rebelles aux mercuriaux. On le prépare avec :

Séné mondé, Hermodactes... ââ 4 drachmes.

Racines de turbith... 6 drachmes.

Ecorces de gaïac, Satsepareille, Sassafras... ââ 4 drachmes.

Pulvérisez le tout, incorporez-le avec une livre de miel réduit à la consistance de sirop par, une forte décoction de quinquina.

On prend une demi-once de cet électuaire, le malin, de deux jours l'un. »

Cagliostro est-il le véritable inventeur de ces préparations, il est permis d'en douter : il était trop ignorant en médecine pour les avoir imaginées ; sans doute avait-il trouvé ces recettes dans quelque vieux dispensaire, ou un homme de l'art les lui avait-il communiquées.

Mais il aurait pu exploiter ces remèdes, faire prôner leur excellence, publier en tous lieux les guérisons qu'il en avait obtenues, demander au gouvernement, à l'exemple de bien des charlatans, des privilèges, des rentes, des pensions; il avait dédaigné de pareilles ressources.

Il avait, il est vrai, recours à d'autres moyens pour s'en procurer, si nous en croyons d'indiscrètes révélations.

A l'hôtel qu'il habitait, avec sa compagne Lorenza Féliciani, on se rendit longtemps en pèlerinage.

Cet hôtel existe, à l'angle du boulevard Beaumarchais et de la rue Saint-Claude, à peu près tel qu'il était quand il abritait le couple mystérieux; on n'a guère changé que la porte, qu'on a remplacée par une des anciennes portes provenant des démolitions du Temple (V. la Libre Parole. 4 juillet 1899,article de Gaston Méry).

La maison convenait admirablement pour la destination qu'on lui avait assignée.

Au fond d'une cour étroite, sous un porche, un escalier à rampe de fer ; par cet escalier montaient les adeptes, pleins de foi et de ferveur.

C'est dans cet antre que se déroulèrent les scènes que l'imagination la plus affolée aurait peine à se représenter; c'est là que Cagliostro évoquait les ombres et faisait souper ensemble les vivants et les morts.

Cédant aux instances qui, de toutes parts, l'assaillaient, Mme Cagliostro avait consenti à ouvrir un cours de magie.

Pour s'y faire inscrire, il fallait être de qualité et déposer au préalable, dans une caisse appropriée, une somme de cent louis.

D'autres conditions, non moins bizarres, étaient imposées aux adeptes, dont le nombre ne devait pas dépasser trente-six.

« En entrant dans la première salle, chaque femme était obligée de quitter son cul (sic), sa bouffante, ses soutiens, son corps, son faux chignon et de vêtir une lévite blanche avec une ceinture de couleur.

Il y en avait six en noir, six en bleu, six en coquelicot, six en violet, six en couleur de rose, six en impossible.

On les fit ensuite entrer dans un temple éclairé, garni de trente-six bergères garnies de satin noir.

« Mme Cagliostro, vêtue de blanc, était sur une espèce de trône.

Quand la lumière fut presque éteinte, la grande-prêtresse ordonna de découvrir la jambe gauche jusqu'à la cuisse, puis d'élever le bras droit.

Alors, deux femmes ayant un glaive eu main, entrèrent et attachèrent les trente-six dames par les jambes et par les bras.

Cette cérémonie fut suivie d'un discours de la grande-prêtresse et l'on soumit les dames à diverses épreuves.

Enfin, le Génie parut sous les traits de Cagliostro ; toutes les dames se dépouillèrent de leurs voiles et un souper suivit. » (Les Demoiselles de Verrières, par GASTON MAUGRAS, 18, note).

Le cours de Lorenza n'aurait eu, dit-on, qu'une séance : la police, avertie, fit une descente dans L'hôtel de la rue Saint-Claude et Cagliostro, ainsi que son épouse, furent mis sous les verrous.

Pendant un an, Paris les y oublia.

 

baquet-mesmer

LE BACQUET DE M. MESMER, OU REPRESENTATION FIDELLE DES OPERATIONS DU MAGNETISME ANIMAL
Le boniment, qui suit le titre, sur la gravure même, qui est de la fin de 1784, est écrit en très mauvais français et émanait, présume-t-on, soit de Mesmer, soit de son valet Antoine (cf. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1891, 482). A droite de la gravure, se voit Mesmer en personne, armé de sa baguette ; à gauche, le valet magnétiseur qui s'empresse auprès d'une patiente. Au dernier plan, à droite, des musiciens jouent, sans doute pour seconder l'action de la médication : au fond et à gauche, se trouve le baquet des pauvres, où les séances, réservées aux seuls indigents, n'avaient lieu que tous les deux jours.

 

II

Toute grande qu'elle ait été, la vogue de Cagliostro fut de moindre durée que celle de son émule, de l'homme qui, pendant près de dix ans, avait tenu l'opinion en haleine, avait vu accourir vers lui toute l'élite de la société, avait tenu à sa merci les plus belles et honnestes dames.

En 1766, un jeune docteur 1 soutenait, devant la Faculté de Vienne, une thèse intitulée : De planetarum influxu (De l'influence des planètes sur le corps humain).

Il avait alors trente-trois ans. Certains de ses biographes le font naître à Meersbourg, en Souabe ; d'autres à Itzmang, près du lac de Constance, sur le territoire suisse ; cette opinion semble la plus fondée (cf. le Manuscrit, infrà cit., 149).

Comme les planètes agissent les unes sur les autres, comme le soleil et la lune agissent, d'autre part, sur notre atmosphère et sur nos mers, le jeune docteur concluait que ces grands corps agissent aussi sur les organismes, particulièrement sur le système nerveux, par le moyen d'un fluide subtil, ressemblant, par ses propriétés, à l'aimant et qui fut désigné, pour ces motifs, sous le nom de magnétisme animal.

L'auteur de la découverte se vantait bien un peu en se l'attribuant et, dans le monde scientifique, on ne manqua pas de protester contre d'aussi téméraires assertions.

Mesmer avait eu, en réalité, de nombreux précurseurs.

Mais le public ignorait que, cent ans avant Mesmer, Valentin Greatrakes avait obtenu plusieurs guérisons remarquables par la simple apposition des mains (Cf. Mesmer et le Magnétisme animal, par Ern. Bersot, Paris, 1853, ch.IV); que Guillaume Maxwell (De Medicina magnetica, Francfort, 1679 (le Transformisme médical, par le docteur II. Grasset, 492), presque dans le même temps, érigeait en corps de doctrine le magnétisme animal; et qu'avant eux, Paracelse, Van Helmont, Kircher avaient eu plus que la prescience de cette thérapeutique dont on affirmait si bruyamment la nouveauté.

D'ailleurs, Mesmer lui-même convenait qu'en 1774 il avait fait la rencontre d'un Père jésuite, professeur d'astronomie à Vienne ; le P. Hell se flattait d'avoir guéri nombre de maladies avec les fers aimantés, notamment une affection chronique du coeur et un rhumatisme aigu.

Instruit de ses procédés, Mesmer ne songea plus qu'à la façon de les exploiter: il ouvrit une maison de santé, où devaient être traités gratuitement tous ceux qui seraient justiciables de la nouvelle médication.

Une commission avait été nommée, par l'Académie des sciences, le 12 mars 1784, pour vérifier les expériences rie Mesmer. Un des membres de cette commission tient en main le rapport, d'où s'échappernt des lots de lumière, qui mettent en déroute Mesmer et ses adepte.

Tout d'abord, il s'en tint aux lames et aux anneaux aimantés, suivant les indications du Père Hell ; peu à peu il s'affranchit de cette tutelle encombrante et,en 1773, il soutenait l'existence du magnétisme animal, qu'il disait essentiellement distinct de l'aimant, comme de l'électricité.

Les corps savants n'acceptèrent pas, sans protestation, cette théorie du prétendu novateur; en présence d'une opposition qui menaçait de s'étendre, Mesmer jugea prudent, pour se faire oublier, d'entreprendre un voyage.

En Suisse, il ouït parler des cures miraculeuses qu'avait obtenues un ecclésiastique, dont la manière de procéder était des plus simples: Gasner se contentait d'exorciser les malades, mais quand il avait reconnu, au préalable, que la maladie était d'origine diabolique.

Comment y parvenait-il ? En ordonnant à Satan de se déclarer par trois interpellations et trois signes de croix.

S'il ne répondait pas, le mal était naturel et était traité par les remèdes ordinaires. Survenait-il des convulsions, la présence du diable était manifeste et le bon curé s'empressait de le chasser du corps du possédé, par des paroles sacrées et des attouchements d'objets religieux.

S'il se produisait une rechute, c'est que le sujet avait, dans l'intervalle, péché ou manqué de confiance Mesmer vit opérer Gasner, constata les guérisons et les attribua au magnétisme animal.

Retourné à Vienne, il voulut essayer son pouvoir sur une fille de dix-huit ans, aveugle depuis l'âge de quatre ans.

Il publia partout qu'il lui avait rendu la vue ; il faut croire que tout le monde n'en fut pas convaincu, car l'impératrice lui envoya l'ordre de « finir cette supercherie ».

Mesmer était démasqué, il n'avait plus qu'à partir pour aller exercer en d'autres lieux ses talents.

Au mois de février 1778, notre aventurier faisait route vers Paris, Paris le grand consécrateur des renommées, le théâtre où pouvaient le mieux se déployer toutes les ressources de son génie inventif.

A peine débarqué dans la capitale, Mesmer lance son manifeste.

Dans son Mémoire sur la découverte du magnétisme (1779), il annonce sa panacée.

Pourvu qu'il connaisse et qu'il sache diriger le fluide magnétique, le médecin...

« jugera sûrement l'origine, la nature et les progrès des maladies, même les plus compliquées, en empêchera l'ac- croissement et parviendra à leur guérison sans aucun danger. Il guérira directement les maladies de nerfs, indirectement toutes les autres. »

Mais comment faire profiler le plus grand nombre de sujets du fluide bienfaisant ? Ici se révèle l'ingéniosité du médicastre; là nous voyons apparaître le Baquet magnétique.

Cette gravure,qui porte pour titre : le Bacquet magique, montre les différents effets produits par le traitement : crises convulsives, vomissiments, prostration, etc. Dans le fond, et vers le milieu de la gravure, se voient trois femmes enlacées. A droite, l'opérateur coiffé, d'un bonnet d'âne (Mesmer, vraisemblablement), comprime avec son pied la région ovarienne d'une malade, tandis que d'autres « sujettes » cherchent à subir son contact. En haut, les signes du Zodiaque, recouverts par un nuage, sont une allusion à la théorie planétaire, légèrement nébuleuse, que cherchait à accréditer Mesmer.

Au milieu d'une grande salle on plaçait une cuve en bois de chêne, de quatre à cinq pieds de diamètre, d'un pied de profondeur, fermée par un couvercle en deux pièces, s'enchâssant dans cette cuve ou baquet.

Au fond du baquet on avait disposé des bouteilles en rayons convergents et couchées de manière que le goulot fût tourné vers le centre de la cuve.

D'autres bouteilles partaient du centre en sens contraire ou en rayons divergents, toutes remplies d'eau, bouchées et magnétisées.

On mettait souvent plusieurs lits de bouteilles ; la machine était alors à haute pression.

La cuve renfermait elle-même de l'eau et dans cette eau baignaient les bouteilles; quelquefois, on y ajoutait du verre pilé, de la limaille de fer et autres substances conductrices.

Il y avait aussi des baquets à sec, c'est-à-dire où les objets que nous venons d'énumérer étaient mis, sans être plongés dans un liquide.

Le couvercle était percé de trous, donnant issue à des tringles en fer, coudées, mobiles, plus ou moins longues, afin de pouvoir être dirigées vers les différentes régions du corps des malades qui s'approchaient du baquet.

Une corde partait d'un anneau du couvercle, dont des patients s'entouraient les membres inférieurs, sans la nouer.

D'autres fois, on formait une seconde chaîne, en communiquant par les mains ; on appliquait son pouce entre le pouce et l'index du voisin; alors on pressait le pouce qu'on tenait; l'impression reçue à la gauche se rendait par la droite et circulait à la ronde.

A ceux qui, altérés, demandaient à boire, on donnait de l'eau où était dissoute de la crème de tartre (Mesmer et le Magnétisme animal, Paris, 1803, ch. II).

On n'admettait pas les affections pénibles à la vue, telles que les plaies, tumeurs et difformités.

Pour ajouter à l'action magnétique, on jouait ou on chantait, surtout à la fin des séances.

Les sons de l'harmonica, depuis peu introduit en France, alternaient avec les accords d'un piano-forte, les symphonies d'instruments à vent ou de choeurs insivibles.

Les portes et les fenêtres de la salle étaient soigneusement fermées; une lumière douce et faible filtrait à travers les rideaux.

Quand toutes les personnes étaient rangées autour des baquets, les magnétiseurs paraissaient, tenant dans leurs mains une baguette de fer, longue de dix à douze pouces.

Fixant les yeux sur le sujet, ils promenaient, devant ou sur son corps, la baguette magique, descendaient des épaules aux extrémités des bras, louchaient les parties douloureuses, notamment les hypocondres et la région du bas-ventre.

Parfois, ils se contentaient de toucher le front, ou de prendre les mains, ou de croiser et décroiser les bras avec une plus ou moins grande rapidité.

Alors, conte un témoin de ces scènes étranges (Bailly, dans le rapport dont il avait été chargé, au nom de l'Académie des Sciences), les malades offrent un tableau très varié.

« Quelques-uns sont calmes et n'éprouvent rien; d'autres toussent, crachent, sentent quelque légère douleur, une chaleur locale ou une chaleur universelle, et ont des sueurs; d'autres sont agités et tourmentés par des convulsions.

Ces convulsions sont extraordinaires par leur nombre, par leur durée ou par leur force...

Elles sont caractérisées par les mouvements précipités, involontaires, de tous les membres et du corps entier, par le resserrement à la gorge, par des soubresauts des hypocondres et de l'épigastre, par le trouble et l'égarement des yeux, par des cris perçants, des pleurs, des hoquets et des rires immodérés.

Elles sont précédées ou suivies d'un état de langueur ou de rêverie, d'une sorte d'abat- tement et même d'assoupissement.

Le moindre bruit imprévu cause des tressaillements ; et l'on a remarqué que le changement de ton et de mesure dans les airs joués sur le piano-forte influait sur les malades, en sorte qu'un mouvement plus vif les agitait davantage et renouvelait la vivacité de leurs convulsions.

On voit des malades se chercher exclusivement et en se précipitant l'un vers l'autre, se sourire, se parler avec attention et adoucir mutuellement leurs crises.

Tous sont soumis à celui qui magnétise; ils ont beau être dans un assoupissement apparent, sa voix, un regard, un signe les en retire...

Cet état convulsif est appelé crise... dans le nombre des malades en crise, il y a toujours beaucoup de femmes et peu d'hommes. »

Au milieu de cette foule agitée, Mesmer circulait, vêtu d'un habit de soie lilas ou de toute autre couleur agréable à l'oeil, promenant sa baguette avec une autorité souveraine, tandis que ses aides opéraient dans d'autres salles, sinon avec la même maestria, au moins avec la même apparence de conviction.

Le guérisseur à la mode s'était logé dans un des plus beaux hôtels de la place Vendôme.

Tous les jours, cabriolets, chaises à porteurs en vernis Martin, carrosses armoriés encombraient la porte de l'idole.

Les trois baquets réservés aux riches étaient retenus longtemps à l'avance, comme actuellement nous faisons réserver une loge pour un jour de première (Cf. On contrat entre Mesmer et Rouelle, médecin de l'Hôtel-Dieu de Rouen, 1781, par le docteur R. Hélot, Revue médicale de Normandie, 1904).

La maison de M.Mesmer est, pour employer le langage d'un contemporain (Mesmer justifié, 1784, in les demoiselles de Verrières, par G. Mauras...),

« comme le temple de la divinité qui réunit tous les états.

« On y voit des cordons bleus, des abbés, des marquises, des grisettes, des militaires, des traitants, des freluquets, des médecins, des jeunes filles, des accoucheurs, des gens forts et vigoureux, etc.

Tout y annonce un attrait, un pouvoir inconnus; ce sont des barreaux magnétiques, des baquets fermés, des baguettes, des cordages, des arbustes fleuris et magnétisés, divers instruments de musique, entre autres l'harmonica, dont les sons flutes éveillent celui-ci, donnent un léger délire à celui-là, excitent le rire, et quelquefois les pleurs ;

joignez à ces objets des tableaux allégoriques, des caractères mystiques, des cabinets matelassés, des lieux particuliers destinés aux crises; un mélange confus de cris, de hoquets, de soupirs, de chants, de gémissements; le tout se fait par l'opération d'un principe inconnu. »

Les salles où ces scènes se passaient avaient reçu dans le monde le nom d'enfer à convulsions.

On ne se contentait pas de magnétiser l'homme, on magnétisait des objets inanimés, surtout des arbres et on attachait au tronc, aux branches, des cordes que les malades appliquaient à leurs maux.

Quand c'était de l'eau qu'on magnétisait, elle prenait, pour le sujet en état de crise, une température et un goût particuliers.

Ce fut, pendant un temps, une vogue incroyable ; tous et toutes, et des plus titrés et des plus huppées, raffolaient de Mesmer. Le mesmérisme est confessé par Mmes de Lamballe, de Gléon, de Saint-Martin; il est prêché aux incrédules par la marquise de Coislin, sous la présidence de laquelle se font les expériences de M. de Puységur.

Quant aux admirateurs, ils sont légion.

Ils s'appellent La Fayette (V. le contrat entre La Fayette et Mesmer, reproduit dans a Chron. méd., 1904, 403. C'est un autre contrat qui a été publié par le docteur R. Hélot, dans la Revue médicale de Normandie), Montesquiou, le prince de Condé, les ducs de Bourbon et de Coi- La duchesse de Bourbon est une adepte émérite, adepte qui dépense son temps à faire du prosélytisme.

Non contente d'assister aux expériences, elle se mêle de propager la doctrine de l'initiateur ; et la voilà qui se met en quête de tous les individus dont le fluide peut calmer la susceptibilité nerveuse.

NOS FACULTÉS SONT EN RAPPORT (Estampe satirique de l'époque).

Elle a bientôt sa clientèle d'hystériques et de névrosés et, dans son hôtel de la rue de Varennes, le baquet magique occupe la place d'honneur.

Sa vie était remplie, dès l'instant qu'elle était persuadée que les malheureux révenaient, par ses soins, à la santé.

Du moins colorait-elle de ce prétexte sa nouvelle fantaisie; car nulle plus qu'elle ne fut éprise de ces fantasmagories.

La mettait-on sur ce chapitre, elle était d'une verve intarissable.

C'était elle qui racontait qu'une découverte très impressionnante avait été faite au Palais-Royal, du vivant de sa mère.

C'était, au fond d'une cachette, creusée dans un mur épais, l'énorme et sinistre appareil de magie, dont le Régent s'était servi pour ses mystérieuses expériences : grimoires indéchiffrables, instruments inconnus, têtes de morts, squelettes d'animaux, herbes et poudres, produisant, par l'odeur seule, des effets stupéfiants.

Et, en rappelant les conjurations cabalistiques de son aïeule, elle laissait entendre que, volontiers, elle eût entrepris le grand oeuvre à son exemple, si elle eût vécu dans le même temps (La Mère du duc d'Enghien, par le comte Ducos, Paris, 1900, ch.IX.)

Faute de mieux, la duchesse se rabat sur Mesmer, qui n'aura pas de partisan plus décidé.

Le fondateur du magnétisme l'accueille avec la bonne grâce qu'on suppose, surtout quand elle lui amène quelque amie de haut parage, comme la baronne d'Oberkirch, aussi engouée qu'elle du magicien dont tout Paris s'entretient; et quand celui-ci veut bien, à leur intention, faire une séance spéciale, elles ne tarissent pas sur son compte d'épithètes laudatives.

Ce fut, pour Mesmer, l'ère triomphale.

Tous accouraient à la place Vendôme, ne fût-ce que pour toucher les basques de son habit.

Quand on n'avait pas la somme suffisante pour avoir un baquet à soi tout seul, on se cotisait entre amis.

On recevait des invitations dans le genre de celle-ci :

« Viendrez-vous ce soir avec nous? j'ai mon baquet. »

Bientôt l'appartement de la place Vendôme ne fut plus assez grand pour contenir la foule des infirmes qui l'assiégeaient.

Mesmer dut transporter ses pénates à l'hôtel Bullion, entre la rue Montmartre et la rue Jean-Jacques-Rousseau ; plusieurs malades s'y mirent en pension, au prix de dix louis par mois (Le Merveilleux au dix-huitième siècle, par Ern. D'Hauterive, Paris, s. d., ch. XI).

Faisant argent de tout bois, Mesmer se mit à vendre des petits baquets, des baquets-miniature, à ceux qui ne pouvaient, pour une raison quelconque, s'approcher du grand.

En présence de l'affluence toujours plus nombreuse de ses dévots, il imagina de magnétiser... un arbre du boulevard, à l'extrémité de la rue de Bondy, où des milliers de malades vinrent s'attacher avec des cordes, dans l'espoir d'une guérison qui survenait souvent, chez des personnes qu'animait une foi invincible.

Devant un tel engouement, les pouvoirs publics commencèrent à s'émouvoir : le ministre, M. de Maurepas, fit offrir à Mesmer 20.000 livres de rente viagère, s'il voulait s'engager à former des élèves et une somme de 10.000 livres, qu'il devait employer à louer une maison propre à recevoir des malades.

Mesmer aurait répondu, dit-on, qu'il préférait une terre et un château.

On essaya d'intéresser le roi à l'affaire.

Mais Louis XVI ne témoignait que d'une foi très relative aux cures du nouveau prophète.

Il raillait ceux qui lui vantaient ses prodiges.

On connaît son mot à La Fayette, lors de son départ pour l'Amérique :

« Que pensera Washington, quand il saura que vous êtes le premier garçon apothicaire de Mesmer? »

Dans une autre circonstance, il eut une riposte qui ne manquait pas d'à-propos.

Au moment où il se rendait à la messe, un jeune homme, très convenablement vêtu, fend la foule et se jette aux pieds du roi, en s'écriant:

— Grâce, Sire, ce damné de Mesmer m'a en- sorcelé !

— Messieurs, dit tranquillement le souverain, en se retournant vers son aumônier et ses chapelains, il s'agit du démon : cette affaire vous regarde.

Le soir, le pauvre détraqué couchait à la Bastille, pour avoir osé troubler les méditations d'un monarque.

Bien persuadé qu'il n'avait aucune chance d'aboutir auprès de Louis XVI, Mesmer s'était tourné vers Marie-Antoinette, qu'on lui avait as- surée d'abord plus facile.

Pour donner une idée de son outrecuidance, rappelons la passage d'une de ses lettres au célèbre Franklin :

« Je suis comme vous, monsieur, au nombre de ces hommes qui, parce qu'ils ont fait de grandes choses, disposent de la honte, comme les hommes puissants disposent, de l'autorité. Ma découverte intéresse toutes les nations, et c'est pour, toutes les nations que je veux faire mon histoire et mon apologie. "

Il eut l'audace d'adresser [à la Reine] une lettre, dont quelques extraits suffiront à montrer la suffisance de son auteur.

« Uniquement par respect pour Votre Majesté, écrivait-il à la reine, je lui offre l'assurance de prolonger mon séjour en France jusqu'au 18 septembre prochain, et de continuer jusqu'à cette époque mes soins à ceux de mes malades qui me continueront leur confiance.

Je cherche, Madame, un Gouvernement qui aperçoive la nécessité de ne pas laisser introduire légèrement dans le monde une vérité qui, par son influence sur le physique des hommes, peut opérer des changements que, dès leur naissance, la sagesse et le pouvoir doivent contenir et diriger dans un cours et vers un but salutaire.

Dans une cause qui intéresse l'humanité au premier chef, l'argent ne doit être qu'une considération secondaire aux yeux de Votre Majesté; quatre ou cinq cent mille francs de plus ou de moins employés à propos ne sont rien.

Ma découverte doit être accueillie et moi récompensé avec une munificence digne du monarque auquel je m'attacherai. »

La requête ne fut pas accueillie, la missive resta sans réponse.

Caricature contre Mesmer, à terre git le P. Hervier, l'un des principaux apologiste du charlatan.

Huit mois plus tard, Mesmer quittait la France et se retirait à Spa.

C'était plus qu'une imprudence, une maladresse.

Donnant raison au proverbe que les absents ont toujours tort, un de ses élèves, que Mesmer avait laissés à Paris, le médecin Deslon, un des premiers qu'il eût initiés à ses doctrines, mit tout en oeuvre pour le supplanter.

Le danger était pressant, il fallait aviser.

Un des disciples du maître, un malade reconnaissant, l'avocat Bergasse, avec l'aide d'un banquier du nom de Kornmann, ouvrit une souscription :

« Pour acquitter envers Mesmer la dette de l'humanité »,

celle-ci devait être composée de cent actions, à cent louis chacune; les cent actions remplies et leur prix acquitté, le docteur Mesmer devait rassembler les actionnaires et leur révéler le système de ses connaissances, dont ceux-ci pourraient disposer ensuite comme d'une propriété à eux (Considérations sur le magnétisme animal, ou sur la théorie du monde et des êtres organisés, d'après les principes de Mesmer, par Bergasse ; La Haye, 1784 et Observations de M. Bergasse sur un écrit du docteur Mesmer ayant pour titre : Lettre de l'inventeur dn magnétisme animal, etc., Londres, 1785).

Ainsi fut fondée la Société de l'harmonie.

Il n'avait pas fallu plus de dix mois pour recruter les cent premiers adhérents, les cent chevaliers de l'ordre de l'Harmonie.

La souscription atteignit le chiffre respectable de 340.000 livres.

Un pareil succès fit naître les convoitises.

Mesmer prétendait exploiter seul son secret ; certains de ses élèves répliquaient qu'ils avaient acheté le droit de répandre la découverte : d'où querelles sans fin, notamment entre Mesmer et son disciple de la première heure, Deslon.

L'un avait pour lui son autorité de chef d'école; l'autre, les grâces de la jeunesse et de L'esprit.

Il y eut le camp des mesmériennes et le camp des desloniennes.

On se jura, de part et d'autre, une haine implacable.

Bientôt Mesmer et Deslon se réconcilient; puis, après une courte trêve, les hostilités reprennent de plus belle.

Chacun se déclare pour ou contre le magnétisme.

Le P. Hervier, docteur en Sorbonne, était parmi les plus chauds partisans : c'était, à l'entendre, le retour de l'âge d'or, le mesmérisme avait triomphé de la mort !

Le magnétisme guérissait tout, même les bêtes.

Quand le prince Henri de Prusse vint en France, en 1784, on magnétisa devant lui un vieux cheval malade.

Les magistrats, en grands costumes de cérémonie, assistaient à l'expérience, que dirigeaient des médecins.

On magnétisa l'animal sans le toucher, puis on dirigea vers son larynx l'action magnétique: il fut aussitôt pris d'une quinte de toux.

Les médecins conclurent à une affection des voies respiratoires, et l'autopsie confirma un diagnostic que, vraiment, ils n'avaient pas eu grand' peine à formuler.

Des esprits avisés ne tardèrent pas à pénétrer le mystère; voyant clair dans le jeu de l'imposteur, ils dénoncèrent la mystification.

Parmi ceux qui avaient payé cent louis pour être affiliés à la Société de l'Harmonie, se trouvaient quelques médecins, tels que Cabanis, Berthollet, et autres.

Berthollet avait consenti à donner la forte somme, mais il s'était réservé le droit de critiquer.

Le célèbre chimiste vient un soir à l'hôtel Bouret dans de mauvaises dispositions.

Le piano, l'harmonica, les chants invisibles, tout cela n'arrivait pas à émouvoir le néophyte.

Alors Mesmer, lui appliquant sa baguette de fer et l'y trouvant insen- sible, l'invective avec violence.

Berthollet se fâche tout rouge, culbute le baquet, apostrophe les malades qui entraient en crise.

On lui rappelle son serment, il répond qu'il n'a pas juré le secret à une mascarade.

Et il sort, en claquant les portes ! Le magnétisme eut à subir de plus rudes assauts avant de succomber.

La caricature, les chansons, la parodie, les représailles commençaient.

Le théâtre s'en mêlait à son tour.

Le 16 novembre 1784, avait lieu, à Paris, la première représentation, par les comédiens italiens ordinaires du Roi, de la comédie-parade en un acte, intitulée : les Docteurs modernes.

C'est une satire contre le mesmérisme, une sorte de vaudeville à couplets, qui attire chaque soir adversaires et amis du système, s'invectivant à qui mieux mieux.

LES EFFETS DU MAGNÉTISME... ANIMAL (Estampe satirique de l'époque).

Quand le public demande le nom de l'auteur, le régisseur s'avance devant la rampe :

« Messieurs, dit-il, j'ai eu l'honneur de vous annoncer que l'auteur (Radet) était dans la salle des crises ; vos bontés l'en ont fait partir, et nous ne savons pas ce qu'il est devenu... »

Cette innocente plaisanterie a le don de déchaîner les colères : les ferventes du baquet montent une cabale ; l'une d'elles envoie son laquais au théâtre, avec ordre de siffler vigoureusement ; le laquais exécute consciencieusement la consigne, mais il s'était trompé de pièce : il sifflait un lever de rideau insignifiant, qui n'avait jamais eu tant d'honneur.

D'autres, plus enragées, comme la duchesse de Villeroy, chassent Radet de chez elles, pour avoir osé attaquer le dieu et voulu

« conduire, nouvel Aristophane, le nouveau Socrate Mesmer à la ciguë » (Correspondance secrète, t. XVII).

Il en est qui rejettent plus furieusement encore dans la mêlée : telle conseiller Duval d'Épremesnil, qui lance du haut de sa loge les exemplaires d'un mémoire destiné à défendre le magnétisme, ou ce bon M. Court de Gebelin, qui ne veut pas quitter cette vallée de larmes, sans annoncer urbi et orbi qu'il a été guéri par Mesmer ; et les journaux d'enregistrer malicieusement :

« M. Court de Gebelin, auteur du Monde primitif, vient de mourir, guéri par le magnétisme animal. »

MESMER, dans une peau d'âne, est en train de magnétiser une jeune beauté, prête à se pâmer.

Le magnétisme ne battait plus que d'une aile, la Faculté et l'Académie allaient lui donner le coup de grâce.

Deslon ayant réclamé une enquête, on s'empressa de saisir cette occasion d'en finir avec ces charlataneries.

Une commission de la Faculté, composée de MM. Borie, Sallin, Darcet, Guillotin, s'était adjoint cinq membres de l'Académie des Sciences, Franklin, Leroy, Bailly, de Bory et Lavoisier.

Les commissaires s'attachèrent, d'abord, à constater l'existence du fluide magnétique, puis ils se soumirent à toutes les expériences, prirent place autour du baquet, observèrent les effets produits sur les sujets.

Leur opinion fut bientôt faite : l'imagination avait la plus large part dans les phénomènes qu'ils avaient eus sous les yeux.

L'attouchement entrait aussi en ligne de compte : le magnétiseur, en touchant des parties très sensibles du corps, mettait en jeu, par des moyens connus, une puissance non moins connue.

Ajoutant à ces deux causes l'imitation, on avait tout le secret du mesmérisme.

En même temps qu'ils publiaient leur rapport, les commissaires en remettaient un autre, secret celui-là, au ministre, à qui ils ne dissimulaient pas le danger que faisaient courir aux bonnes moeurs les expériences auxquelles se livraient Mesmer et ses disciples.

Peu après, la Société royale de médecine arrivait à des conclusions à peu près analogues.

Mesmer était jugé... et exécuté; il n'allait plus lui rester de partisans qu'en quelques provinces attardées.

Chartres paya son tribut à cette manie extravagante, écrit un auteur du cru. L'eau magnétisée ne se vendait pas à vil prix, en voici la preuve :

« Trois cents bouteilles magnétisées, pour ceux qui désireraient former chez eux un réservoir ou baquet magnétique, à vendre, à 12 sols la bouteille.

S'adresser au bureau d'avis, on donnera la manière de les arranger dans le réservoir. »

Puis, les Chartrains enthousiastes chantèrent en vers les cures du médicastre :

Vers pour mettre au bas de mon baquet :

Gloire, honneur, amour, confiance Au plus étonnant des mortels ;

Puisse un jour la reconnaissance, Mesmer, te dresser des autels;

Malgré les fureurs de l'envie Et les cris du peuple ignorant, Tu seras le Dieu de la vie, Ton baquet en est le garant.

(Par M. l'abbé M..., de Chartres. Cf. le ch. vu du livre de Bersot).

Jusqu'au fond de la Bretagne, Mesmer avait ses fervents.

Dans le vieux manoir de la Mancellière, à deux lieues environ de Dol, le comte de Ranconnet de Noyan, gentilhomme de vieille souche, que Mesmer avait guéri d'un asthme obstiné, et qu'il avait initié, moyennant finances, à la science nouvelle, dès son retour en Bretagne tint baquet ; tous les matins, il se faisait magnétiser et magnétisait ses gens (Le Manuscrit (2e année, n° 10), 150).

Alors les épigrammes de pleuvoir ; c'était bien la fin.

Le magnétisme est aux abois :

La Faculté, l'Académie

L'ont condamné tout d'une voix,

Et l'ont couvert d'ignominie.

Après ce jugement, bien sage et bien légal,

Si quelque esprit original

Persiste encore dans son délire,

Il sera permis de lui dire :

« Crois au magnétisme... animal ! »

Le rapport de Bailly avait mis Mesmer en fuite. Il se retira en Allemagne, après un court séjour en Angleterre et en Italie.

Les 340.000 livres dues à la générosité des Français ne lui durèrent pas longtemps, puisqu'il se trouva réduit à solliciter un poste de médecin dans un hôpital de la République helvétique (Cf. le Marquis de la Rouërie et la conjuration bretonne, par Lenotre, 1899, ch. II) :

il devait avoir, à cette époque, soixante-huit ans, s'il faut ajouter foi aux trente-cinq années de médecine qu'il se donne, et en supposant qu'il ait commencé à exercer cet art dès qu'il avait été reçu docteur.

Mesmer mourut en 1815, à Meersbourg, en Souabe, dans l'oubli le plus complet, après avoir parcouru une des carrières les plus extraordinaires qu'ait eu à enregistrer l'histoire de la crédulité humaine.

Le vieux Plutarque, qu'on ne lit plus, a écrit quelque part que,

« loin d'accuser les uns et les autres d'avoir outrepassé leurs confins, il faudroit plus tost les blasmer s'ils ne levoient et ostoient entièrement ces bornes pour labourer comme en un champ commun » (OEuvres mêlées, traduction Amyot).

Nous sommes trop portés, au temps où nous vivons, à catégoriser chacun, à lui imposer l'étiquette de sa profession, comme si un médecin n'était capable que d'examiner et traiter des malades ; un avocat, de plaider la cause de la veuve et de l'orphelin ; un industriel, d'aligner des chiffres.

Il fut une époque, pas si lointaine, où il était interdit au physiologiste de s'occuper de philosophie ; où l'on blasphémait, si l'on osait prétendre que l'exercice de la pensée pût être influencé par une lésion pathologique ; qu'une forte pression sur un point du cerveau est capable de paralyser la mémoire, suspendre la faculté du langage, ou déterminer tout autre trouble de nos fonctions cérébrales.

On s'est aperçu, depuis, que ce divorce de la science d'avec la philosophie ne pouvait que nuire à celle-ci, et plutôt que de voir refleurir les beaux jours de lascolastique, que mieux valait ménager un rapprochement, sceller un pacte de réconciliation entre ces soeurs ennemies.

Il en va de même pour les rapports de la science et de l'histoire.

Dire qu'il n'y a rien de commun à ces deux domaines, les vouloir délimiter par des cloisons étanches, cela est aussi absurde que de proclamer l'incompétence du médecin en ma- tière de critique, artistique ou littéraire.

Il y a, objecte-t-on parfois, le pli professionnel, qui porte le médecin à chercher les verrues, à dénoncer les tares des personnages qu'il soumet à sa vivisection, ou dont il fouille les viscères avec son scalpel, si son introspection ne s'applique pas à des vivants.

Jadis, l'historien opérait par larges touches, peignait à fresque, ne voyait que l'ensemble : l'homme disparaissait, les détails se noyaient dans la masse.

La réaction contre ce système nous aurait conduits à une exagération en sens inverse : c'est peut-être exact, mais n'y avons-nous pas gagné.