[11]. Lors donc que vous entendrez toutes les fables que les Égyptiens racontent des dieux, qu'on vous dira qu'ils ont erré sur la terre, qu'ils ont été coupés par morceaux, et qu'ils ont éprouvé beaucoup d'autres accidents semblables, souvenez-vous de ce que je viens de dire, et ne pensez point que tout cela soit effectivement arrivé.
Par exemple, ils ne croient pas que le chien soit proprement le dieu Mercure ; mais comme cet animal est dans une continuelle vigilance, qu'il fait bonne garde, et que son instinct lui fait distinguer avec sagacité un ami d'un ennemi, ils l'ont comparé, suivant Platon, au plus fin de tous les dieux.
Ils ne croient pas non plus que le soleil sorte du milieu d'un lotus, comme un enfant nouveau-né ; mais ils représentent sous cette figure le soleil levant, pour désigner que sa chaleur est entretenue par les vapeurs qui s'élèvent des lieux humides.
Ochus, le plus cruel et le plus terrible des rois de Perse, qui, après avoir massacré un grand nombre d'Egyptiens, finit par égorger le bœuf Apis, dont il se nourrit avec ses courtisans, ils lui ont donné le nom de glaive, et il est encore sous cette dénomination dans la liste des rois; non qu'ils aient voulu par là exprimer sa propre substance ; mais par un instrument fait pour répandre le sang, ils ont caractérisé sa méchanceté et sa scélératesse.
C'est ainsi que vous devez entendre le récit que font de ces dieux ceux qui en donnent une interprétation religieuse et philosophique. Alors, vous observez fidèlement tout ce qui est prescrit pour ces cérémonies sacrées, et persuadés que le sacrifice le plus agréable que vous puissiez offrir aux dieux, c'est d'avoir d'eux des idées justes et vraies, vous éviterez la superstition, qui n'est pas un moindre mal que l'athéisme.
[12] Voici donc ce récit, que j'abrégerai le plus qu'il me sera possible, et dont je retrancherai tout ce qui est inutile et superflu. Rhéa, dit-on, ayant eu un commerce secret avec Saturne, le Soleil, qui s'en aperçut, prononça contre elle cette imprécation, qu'elle ne pût accoucher dans aucun mois ni dans aucune année.
Mercure, qui aimait cette déesse et qui en était bien traité, joua aux dés avec la Lune et lui gagna la soixante-dixième partie de ses clartés, dont il forma cinq jours, qu'il ajouta aux trois cent soixante de l'année ; les Égyptiens les appellent épagomènes, et ils les célèbrent comme l'anniversaire de la naissance des dieux.
On dit qu'Osiris naquit le premier jour, et qu'au moment de sa naissance on entendit une voix annoncer que le maître de toutes choses arrivait à la lumière. D'autres racontent qu'un certain Pamylès de Thèbes (19), étant allé chercher de l'eau dans le temple de Jupiter, entendit une voix qui lui ordonnait d'annoncer hautement qu'Osiris, le grand roi, le bienfaiteur de l'univers, venait de naître ; que, pour cette raison, Saturne le chargea de nourrir l'enfant, et qu'en mémoire de cet événement, on célèbre la fête des Pamylies, qui ressemblent à nos Phallophories.
Le second jour naquit Aroueris, ou Apollon, que quelques uns appellent l'ancien Horus ; le troisième jour Typhon vint au monde, non à terme et par la voie ordinaire, mais en s'élançant par le flanc de sa mère, qu'il déchira.
Isis naquit le quatrième jour dans des marais, et le cinquième Nephtys, que les uns appellent Teleuté et Vénus, et d'autres Victoire. On ajoute qu'Osiris et Aroueris eurent pour père le Soleil, qu'Isis fut fille de Mercure, Typhon et Nephtys de Saturne.
Le troisième des jours épagomènes était regardé comme de mauvais augure à cause de la naissance de Typhon ; les rois n'y traitaient aucune affaire et ne prenaient leurs repas qu'à l'entrée de la nuit. On dit encore que Typhon épousa Nephtys ; qu'Isis et Osiris, épris d'amour l'un pour l'autre, s'unirent dans le sein de leur mère ; et de cette union formée dans les ténèbres naquit, selon quelques uns, Aroueris, que les Égyptiens appellent le vieux Horus, et les Grecs Apollon.
[13] Dès qu'Osiris fut monté sur le trône, il retira les Égyptiens de la vie sauvage et misérable qu'ils avaient menée jusqu'alors; il leur enseigna l'agriculture, leur donna des lois et leur apprit à honorer les dieux. Ensuite, parcourant la terre, il adoucit les mœurs des hommes, eut rarement besoin de la force des armes, et les attira presque tous par la persuasion, par les charmes de la parole et de la musique ; aussi les Grecs ont-ils cru qu'il était le même que Bacchus.
Typhon, qui, pendant son absence, n'avait osé rien innover, parce que Isis administrait le royaume avec autant de vigilance que de fermeté, tendit des embûches à Osiris lors de son retour, et fit entrer dans la conjuration soixante-douze complices. Il fut secondé aussi par la reine d'Ethiopie, qui se nommait Aso. Il avait pris furtivement la mesure de la taille d'Osiris, et avait fait faire un coffre de la même grandeur, très richement orné, qu'on apporta dans la salle du festin qu'il donnait à ce prince.
Tous les convives l'ayant regardé avec admiration, Typhon leur dit, comme en plaisantant, qu'il en ferait présent à celui d'entre eux qui, s'y étant couché, se trouverait justement de la même grandeur. Chacun d'eux l'ayant essayé à son tour sans qu'il convînt à personne, Osiris y entra aussi et s'y étendit. A l'instant les conjurés accourent, ferment le coffre, et pendant que les uns en clouent le couvercle, les autres font couler sur les bords du plomb fondu pour le boucher exactement ; après quoi ils le portent dans le Nil, d'où il fut poussé dans la mer par l'embouchure Tanitique, dont les Égyptiens, pour cette raison, ne prononcent encore aujourd'hui le nom qu'avec horreur.
Cette conjuration eut lieu le 17 du mois athyr (20), où le soleil parcourt le signe du Scorpion, la vingt-huitième année du règne d'Osiris ; d'autres disent de son âge et non pas de son règne.
[14] Les pans et les satyres qui habitent auprès de Chemmis (21) furent instruits les premiers de cet événement, et en répandirent la nouvelle. De là les frayeurs soudaines qui saisissent une multitude ont été appelées terreurs paniques.
Isis n'en fut pas plutôt informée, qu'elle coupa, dans le lieu même où elle l'apprit, une boucle de ses cheveux, et prit une robe de deuil. Ce fut à l'endroit où est aujourd'hui la ville de Copto (22), nom qui, suivant quelques auteurs, signifie privation, car on dit coptein pour priver.
Elle courait de tous côtés, livrée aux plus cruelles inquiétudes, et s'informant à tous ceux qu'elle voyait du coffre qui faisait l'objet de ses recherches, lorsque enfin elle rencontra de petits enfants à qui elle fit la même question. Ils l'avaient vu par hasard, et lui dirent par quelle embouchure les amis de Typhon l'avaient poussé dans la mer.
De là vient l'opinion où sont les Égyptiens que les enfants ont la faculté de deviner ; et ils tirent des présages des paroles qu'ils leur entendent prononcer au hasard dans les temples. Isis apprit qu'Osiris avait eu, par erreur, commerce avec Nephtys, sa sœur, qui en était amoureuse, et qu'il avait pris pour Isis, et elle en eut la preuve dans la couronne de mélilot qu'il avait laissée auprès de Nephtys, et se mit à la recherche rie l'enfant, que la mère avait exposé aussitôt après sa naissance, par la crainte de Typhon.
Isis l'ayant trouvé, avec bien de la peine, conduite par des chiens qui allaient à la découverte, se chargea de le nourrir. Elle le prit ensuite pour son gardien et son compagnon de voyage et lui donna le nom d'Anubis.
On croit qu'il est préposé à la garde des dieux, comme les chiens sont faits pour garder les hommes. Elle apprit bientôt que le coffre, porté par les flots de la mer auprès de la ville de Byblos (23), avait été déposé doucement sur un buisson, qui, en peu de temps, parvint à un tel degré de grandeur et de beauté, que sa tige enveloppa le coffre et le couvrit entièrement ; en sorte qu'on ne pouvait l'apercevoir.
Le roi du pays, frappé de la grandeur de cette plante, ayant fait couper la tige qui cachait le coffre dans son sein, en fit une colonne qui soutenait le toit de son palais.
[15] Isis, qui en fut, dit-on, avertie par une révélation céleste, vint à Byblos et s'assit auprès d'une fontaine, les yeux baissés et versant des larmes, sans adresser la parole à personne ; seulement elle salua les esclaves de la reine, leur parla avec bonté, arrangea leurs cheveux, et leur communiqua l'odeur délicieuse qui s'exhalait de son corps.
La reine, frappée de la coiffure de ses esclaves et de l'odeur agréable qu'elles répandaient, conçut le plus vif désir de voir cette étrangère. On la fit venir, et la reine, dont elle devint l'amie, lui donna un de ses enfants à nourrir.
On dit que le roi s'appelait Malcandre et la reine Astarpe; d'autres la nomment Saosis, et quelques uns Nemanoun, qui répond au nom grec Athénaïs.