TRAITÉ PAR LEQUEL IL EST PROUVÉ QUE LES AMES VEILLENT ET VIVENT APRÈS QU'ELLES SONT SORTIES DES CORPS

DE MAITRE JEAN CALVIN

TRAITÉ PAR LEQUEL IL EST PROUVÉ QUE LES AMES VEILLENT ET VIVENT APRÈS QU'ELLES SONT SORTIES DES CORPS, CONTRE L'ERREUR DE QUELQUES IGNORANTS QUI PENSENT QU'ELLES DORMENT JUSQUES AU DERNIER JUGEMENT.

PRÉFACE DE JEAN CALVIN ADRESSÉE A UN SIEN AMI.

Titre : Oeuvres françoises de J. Calvin, recueillies pour la première fois / précédées de sa vie par Théodore de Bèze ; et d'une notice bibliographique par P. L. Jacob, bibliophile (P. Lacroix)

Auteur : Calvin, Jean (1509-1564)

Éditeur : C. Gosselin (Paris) Date d'édition : 1842

Contributeur : Lacroix, Paul (1806-1884). Collaborateur Type : monographie

Source : Bibliothèque nationale de France, domaine public.

Relation : bnf.fr

OEUVRES FRANÇOISES DE JEAN CALVIN.

TRAITÉ PAR LEQUEL IL EST PROUVÉ QUE LES AMES VEILLENT ET VIVENT APRÈS QU'ELLES SONT SORTIES DES CORPS, CONTRE L'ERREUR DE QUELQUES IGNORANTS QUI PENSENT QU'ELLES DORMENT JUSQUES AU DERNIER JUGEMENT. PRÉFACE DE JEAN CALVIN ADRESSÉE A UN SIEN AMI.

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Comme ainsi soit que quelques bons personnages m'eussent déjà de longtemps sollicité, voire instamment pressé d'écrire quelque chose pour réprimer la folie de ceux qui sottement et confusément disputent aujourd'hui du dormir ou de la mort des âmes, si est-ce que jusques ici je ne m'étois pu accorder à leurs prières et instantes requêtes, tant j'ai un esprit contraire à toutes contentions et débats. Et certes j'avois pour lors quelque raison de m'excuser ; en partie pour ce que j'espérois qu'en bref cette rêverie, ne trouvant nul adhérent, s'évanouiroit, ou bien demeureroit cachée entre un tas de bavereaux seulement; en partie aussi pour ce qu'il ne m'étoit pas aisé d'entrer en bataille contre des adversaires desquels je ne connoissois encore ni l'Ost, ni les armes, ni les embûches ; car je n'avois encore entendu parler d'eux, ains seulement marmonner quelque chose en confus, tellement que de vouloir combattre contre ceux qui n'étoient point encore sortis en campagne, n'eût pu sembler autre chose que battre l'air à clos yeux. Mais enfin l'issue a bien été autre que je n'espérois ; car ces jaseurs ont été si soigneux et diligents à augmenter leur faction, qu'ils ont jà attiré à leur erreur je ne sais combien de mille personnes.

Même le mal, à ce que je vois, s'est rengrégé ; car au commencement quelques-uns seulement caquetoient en confus que les âmes des trépassés dorment, et ne donnoient point à entendre que c'est qu'ils vouloient dire par ce somne. Depuis, sont sortis ces bourreaux d'âmes qui les égorgent tout à fait, mais sans plaie. Or j'estime que l'erreur des premiers n'est pas à supporter, et qu'il faut vivement réprimer la rage de ceux-ci ; même que tous deux ne sont fondés sur raison ni jugement quelconque. Mais il n'est pas aisé de le persuader aux autres , sinon que je réfute publiquement le sot babil de ces galants, et leur résiste en barbe (comme on dit), découvrant leurs mensonges, lesquels ne se peuvent apercevoir qu'en leurs écrits. Or on dit qu'ils font courir leurs songes et rêveries en je ne sais quels brevets qu'ils sèment par-ci par-là, lesquels je n'ai encore pu voir. Seulement j'ai reçu d'un ami quelques petits avertissements, èsquels il avoit rédigé par écrit ce qu'il leur avoit ouï dire en passant, ou qu'il en avoit pu recueillir par-ci par-là.

Combien donc que l'une des excuses me soit à demi ôtée par ces avertissements, si est-ce qu'il m'en reste encore la moitié. Mais d'autant qu'ils n'attirent pas moins de gens en leur erreur par leurs bruits confus et babil qu'ils ont tant à main, que s'ils avoient fait imprimer des livres qui courussent par le monde, je ne sais comment je me pourrai purger de trahison envers la vérité vérité Dieu, si en une si grande nécessité je me lais et dissimule. Certes, d'autant que j'espère que mon labeur pourra être grandement utile aux plus rudes et moins exercés, et servir à ceux qui sont moyennement savants, lesquels se seront peu amusés à cette matière et argument, je ne craindrai point de mettre entre les mains des gens de bien la raison de ma foi, non pas peut-être si bien équipée de toutes armes pour pouvoir donner l'assaut aux ennemis, ni si bien munie de forteresses qu'elle les engarde d'approcher ; mais pour le moins non du tout désarmée et sans défense.

Que si l'importunité de ceux qui sèment ces songes l'eût permis, je me fusse volontiers passé d'entrer en cette manière de combat, lequel ne peut tant apporter de fruit qu'il donne de peine, vu mêmement qu'il me semble que l'exhortation de l'apôtre devroit servir en cet endroit, si quelquefois il en étoit besoin, à savoir que nous sentions à sobriété ; et combien que ceux-ci ne permettent pas que nous usions de là sobriété que nous désirons, si est-ce que je regarderai de disputer le plus modestement qu'il me sera possible. Que plût à Dieu qu'on eût trouvé autre autre de retrancher soudainement ce mal qui ne croît que trop, de peur que, comme un chancre, il ne vienne à s'épandre de plus en plus. Combien que ce n'est pas de maintenant seulement qu'il a pris naissance, car nous lisons que certains Arabiens ont-été auteurs de cette fausse doctrine, lesquels disoient que l'âme mouroit quand et le corps, et que tous deux ressusciteroient au jour du jugement. Et peu de temps après, Jean, évêque de Rome , la maintint, lequel fut-contraint par les sorbonistes de Paris de se dédire. Or, ayant été assoupie un bien longtemps, elle a été naguère rallumée par quelques-uns de la secte des anabaptistes, et a jeté quelques flammèches, lesquelles s'étant épandues au long et au large, sont enfin devenues devenues torches et flambeaux ardents, lesquels je prie à Dieu qu'il veuille éteindre au premier jour par cette pluie volontaire qu'il réserve spécialement à son Église.

Or je disputerai sans aucune malveillance, et sans m'attacher à certaine personne, et sans un appétit de brocarder et médire, tellement que nul ne se pourra plaindre à bon droit d'avoir été blessé de moi, non pas même offensé en sorte que ce soit, combien qu'on en peut voir aujourd'hui aucuns qui brûlent d'un désir de reprendre, mordre et blasonner, lesquels si on touche seulement du bout du doigt, savent bien faire leur piteuse complainte, qu'on rompt l'union de l'Église, et qu'on viole la Charité. Mais je réponds à ceux-là, en premier lieu, que nous ne reconnoissons nulle union, sinon celle qui est fondée en Christ, ni aucune charité, sinon celle de laquelle il est le lien ; ainsi, que le principal point et commencement de conserver charité, c'est que la foi demeure entre nous sainte et entière.

En outre, je réponds que cette dispute se peut décider sans que charité soit en rien blessée, pourvu qu'ils apportent de telles oreilles que j'ai délibéré d'apporter la langue. Or, quant à toi, homme excellent, il y a plusieurs causes qui m'ont induit de te dédier ce mien labeur, mais principalement pour ce qu'au milieu de ces troubles de vaines opinions, par lesquelles un tas d'esprits fantastiques rompent le repos de l'Église, je vois que d'une prudence et modestie singulière tu persistes ferme et entier.

D'Orléans, 1534.