LOUIS–FERDINAND CÉLINE

L'ÉCOLE DES CADAVRES

« Pour abattre Hitler, il faut d'abord écraser Staline. »

DORIOT

Sauvés ! On discute !

Les Juifs.

Liberté du 12 octobre1938

À

JULIEN

"L'APOSTAT"

1938, Éditions Denoël, 179 p.

Céline démissionne du dispensaire de Clichy et, en 1938, compose un nouveau pamphlet pacifiste et antisémite, L'École Des Cadavres.

" Une verve emportée et un ton magnifique qui décourage les imitateurs, des pages bourrées de substance, éclatantes et lucides, assénées, virulentes, définitives. "

" L'École des Cadavres, c'était l'application à la France de la théorie du juif. Si jamais il y eu livre prophétique, ce fut bien celui là. Tout y est dit, tout y est nommé, prévu, écrit, annoncé dans les termes les plus clairs."

" C'était le grand cri d'alarme, le ‟ hola ˮ terrible qui aurait du arrêter tous les français sur la pente de la guerre. Il ne fut entendu que par les juifs. Et, vivement, le gouvernement fit une loi pour la protection des juifs. "

" Et l'on (…) migeota à Céline (…) un procès en correctionnelle. Et comme de bien entendu, [il fut] condamné. Bagatelles et L'École étaient interdits." (Denoël, le cahier jaune, 1 nov. 41)

L'écrivain est unanimement rejeté par ceux qui avaient encensé le Voyage. En mai 1939, le décret Marchandeau oblige l'éditeur à retirer de la vente ces deux pamphlets. (wiki)

" Quelques mois plus tard, la guerre éclatait... "

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Avec quoi, il va abattre Hitler, Doriot ?

Avec les régiments français à fils uniques ?

Avec quels alliés ?

La France n'a plus d'alliés. Elle est bien trop déconfite, galeuse, branleuse, avancée dans les gangrènes, contagieuse, pour qu'on s'acoquine avec elle. Salut. Pendant la grave dernière crise la Belgique a mobilisé contre nous, pas contre l'Allemagne.

L'Italie, il ne se passe pas de jour qu'elle nous fasse très nettement comprendre combien nous la dégoûtons, qu'elle en a marre de nos allures, que tout en nous lui répugne, qu'elle attend qu'une occasion pour nous corriger, pour nous montrer ce qu'elle peut faire avec nos os de pourris…

Nos nationaux veulent pas comprendre, ils persévèrent dans leurs efforts de séduction… de plus en plus bas putassiers.

Alors avec quoi il va l'abattre Hitler, Doriot ?

Avec les Juifs de son parti ?

Il veut écraser Staline en même temps ?

Brave petit gars ! Pourquoi pas ? D'une pierre deux coups !

Et youp ! là ! là ! c'est gagné !

Nous sommes en pleine loufoquerie, en plein crânouillage loufoquecreux, venteux, bien français !

Cocorico ! Cocorico !

Les prémices de la paralysie générale, la folie des grandeurs ! Aussi absurde que du Maurras, du Kérillis, ou du Péri, vraiment des raisonnements d'hurluberlus à interner.

Vous voyez donc pas que vous êtes en l'air ? Que plus rien vous retient au-dessus des précipices ? Que l'Europe toute entière (y compris les Anglais) attend que de vous voir basculer ? Le plus tôt possible ?

À quoi riment toutes ces jactances ? toutes ces proclamations bravaches ? Ces provocations de piteux, perclus, malthusianistes rentiers ? On se le demande ? Le Vésinet en folie !

À nous faire prendre pour encore un peu plus cons, plus bouffis, plus inconscients, inconsistants, hystériques, présomptueux, gâteux, vétilleux que nous le sommes déjà ?...

Et puis aussi la muflerie de tous ces cartels ! Remarquez ! muflerie très typiquement française ! Mais Doriot ! Mais Maurras !

Faudrait tout de même en rabattre ! de ces plastronnades ! Mais c'est Hitler qui vous a sauvés tous les deux de Staline et de ses bourreaux juifs ! Ni plus ! Ni moins !

C'est pas vos petites grimaces ! Vous lui devez une fière chandelle à Hitler ! Vous seriez déjà fusillés tous les deux (avec tous les Aryens qui causent) depuis belle lurette ! s'il avait pas l'atroce Hitler nettoyé l'Allemagne en 28 !

Y a de beaux jours que sans Hitler c'est les Juifs du Comintern qui feraient la loi par ici, les Prévôts, à Paris même, avec leurs tortionnaires mastards. Vous seriez servis ! Vous auriez plus beaucoup la chance d'installer sur les tréteaux !

Ingrats ! Non ! Certes ! Vous parleriez aux radis par les temps qui courent. Ça serait fini les grands airs, les poses plastiques terrifiantes.

C'est grâce à Hitler que vous existez encore, que vous déconner encore. Vous lui devez la vie.

« Je vas vous désosser, moi, barbares !

Je vas vous abattre bêtes enragées ! atroces Teutons !

Je vas vous retourner les naseaux, moi !

Je vas vous mettre en poudre !

Moi ! Je ! Moi ! Moi ! Je ! »

À force de défier comme ça… de vous rendre insupportables… comme si vous étiez en état…

Vous allez voir un de ces jours… la purge… Tous les spectateurs de l'Europe ils sont prêts à se fendre la pipe…

Les vantards quand on les dérouille ça fait plaisir à tout le monde. Tout le monde est heureux.

C'est un cas sans espoir, le vôtre ? Vous avez perdu toute mémoire tellement que vous êtes abrutis ? ou c'est encore la suffisance ?

Vous pouvez plus vous souvenir combien qu'elle aurait duré la France de 14, rien qu'elle, toute seule, devant l'Allemagne ?

Quinze jours maximum. Vous vous saoulez à l'eau de la Marne à présent ? C'est complet…

Cocorico ! Cocorico ! Cocorico !

Je trouve l'antisémitisme italien tiède, pour mon goût, pâle, insuffisant. Je le trouve périlleux. Distinction entre les bons Juifs et les mauvais Juifs ? Ça rime à rien.

Les Juifs possibles, patriotes, et les Juifs impossibles, pas patriotes ?

Rigolade ! Séparer l'ivraie du bon grain !

Tout de suite nous retombons dans les fines discriminations, les scrupules libéraux, les nuances, les mesures "équitables", les trouducuteries, les avocasseries, les rhétoriques, les pines de mouche, en plein "latinisme".

Maurras est ravi. Donc pratiquement c'est inepte. Le Juif gagne toujours dès qu'on lui entrouvre la porte des fins dosages, des justifications dialectiques…

C'est son métier la dialectique. Un Juif a toujours raison. C'est le principe. Il aura toujours raison, cent mille raisons, cent mille excuses, toutes meilleures les unes que les autres pour demeurer chez vous, pour attendre, attendre encore, et puis un jour, tout oublié, vous foutre vous dehors, dans deux ans, dix ans, vingt ans…

Toute l'Histoire des Juifs hurle ce principe :

« Tout compromis avec les Juifs se termine par le triomphe des Juifs et parl'écrabouillement des Goyes. »

C'est classique. Vous n'y couperez pas. On veut se débarrasser du juif, ou on ne veut pas s'en débarrasser.

Qui veut la fin veut les moyens, et pas les demi-moyens. Le chirurgien fait-il une distinction entre les bons et les mauvais microbes ? Ceux qu'il entend laisser mijoter dans le champ opératoire, les microbes tranquilles, les "dénués de virulence", les inoffensifs saprophytes et puis les germes qu'il doit éliminer tout de suite, faire bouillir, détruire inexorablement, sous peine des plus graves pépins, des septicémies mortelles ?

Non. Cette attitude serait inepte, désastreuse. Il passe à bouillir tous ses instruments avant d'opérer et pas pendant, mais vingt bonnes minutes sous pression, extrêmement scrupuleux. A.B.C. de l'Art chirurgical.

Tout est mystérieux dans le microbe comme tout est mystérieux dans le juif. Un tel microbe si gentil, un tel juif si louable hier, sera demain la rage, la damnation, l'infernal fléau.

Nul ne peut se porter garant de l'avenir d'un microbe, pas plus que de l'avenir d'un Juif. C'est la bouteille à encre. Les vagues de virulence passent sur l'espace et puis c'est tout, comme elles veulent, quand elles veulent.

Saprophytes inoffensifs, Juifs inoffensifs, germes semi-virulents, virulents seront demain virulissimes, foudrouyants. Ce sont les mêmes Juifs, les mêmes microbes, à divers moments de leur histoire, c'est tout.

Personne n'a le droit de se risquer seul, c'est tout. Personne n'a le droit de se risquer d'introduire un seul microbe, un seul juif dit inoffensif, dans le champ opératoire.

Personne ne sait ce que deviendra, ce que fut autrefois, comment va tourner le microbe ou le Juif le plus bénin d'apparence. Tous les adversaires de Pasteur n'étaient pas incurablement, irrévocablement crétins, ou de mauvaise foi.

Certains d'entre eux firent même de très honnêtes efforts pour appliquer dans leur chirurgie les nouvelles méthodes pasteuriennes. Ils ne demandaient pas mieux que de stériliser leurs instruments avant d'opérer. Ils croyaient en toute probité les avoir stérilisés parfaitement, leurs instruments, de très bonne foi, quand ils les avaient bouillis au préalable quelques minutes, comme un œuf à la coque, un-deux-trois minutes, dix minutes au maximum. Les résultats étaient effroyables.

« Monsieur Pasteur est un charlatan ! Son antisepsie n'est qu'une farce.

Je les ai fait bouillir, moi, mes bistouris ! Selon sa fameuse méthode !

Mes statistiques démontrent que la méthode Monsieur Pasteur n'est qu'une faribole de maniaque.

Rien ne change par sa méthode ! Même infection ! Même mortalité !

Les microbes ! Ses microbes ! Quelle duperie, quel battage ! »

À cette époque l'infection post-opératoire enlevait à peu près 95 pour 100 des opérés. Pasteur eut toutes les peines du monde (dix ans de parlotes furieuses) à faire comprendre à ses adversaires qu'ils étaient tout de même, eux, responsables de leurs échecs opératoires, pas sa méthode.

Les découvertes pasteuriennes furent formellement niées en France, bannies pendant dix ans, et par les plus grands savants français de l'époque.

Les méthodes pasteuriennes n'acquirent droit de cité que grâce à Lister, après un long exil en Angleterre. Ces petits démêlés tout à l'honneur du fameux esprit français, tout de lumière, de lucidité, de logique, de cartésianisme, de narcissisme.

Bref, Pasteur dut renoncer pendant dix ans à faire admettre aux savants de la Race la plus intelligente de la Terre qu'entre une ébullition de trois minutes et une ébullition de vingt minutes, il existait un abîme, un monde, qu'une stérilisation de trois minutes demeurait imparfaite, donc absolument inutile (plutôt nuisible), tandis qu'une ébullition de vingt minutes, scrupuleuse, stérilisait véritablement, parfaitement, les instruments opératoires, supprimait tous les germes (et leurs spores), et par conséquent toute possibilité d'infection.

Pour ces éminentes cervelles latines le mot "stérilisation" suffisait. Elles avaient eu le mot !

Elles avaient eu la chose ! Ébullition ? N'est-ce pas ? Très bien ? Antisepsie ? Alors ? Deux ! Dix ! Vingt minutes ! Qu'est-ce que ça pouvait bien foutre toutes ces histoires de minutes ? Des échappatoires ! Des alibis ! Des faux-fuyants !

Des chichiteries ! ces minutes ! Quelle différence ? Y avait bien eu tout le mot : ébullition ? On avait bien fait bouillir ? Alors c'était l'essentiel !

Pasteur était condamné devant l'Académie de Médecine française, latine, verbale, puisqu'il avait prononcé le mot ! Il était foutu. Ils avaient tous répété, les quarante académiciens, le mot. Alors c'était suffisant. Si ça marchait pas c'était tant pis pour sa gueule !

Les latins, les latinisants sont conifiés par les mots, toujours, ce ne sont pas eux quiconduisent les mots, ce sont les mots qui les conduisent. Ils croient aux mots, ils ne croient qu'aux mots. Ils pensent que le monde est un mot, que le juif est un mot, que la stérilisation est un mot, que tout peut s'arranger avec des mots, avec un mot, avec un mot juste, avec un mot heureux.

Ils raffolent des solutions verbales, dites heureuses, ils n'en reconnaissent jamais d'autres. Si les événements comme à Munich viennent bousculer leurs petites solutions verbales, vous les voyez longtemps, longtemps encore, demeurer tout déconfits, malheureux, ne reconnaissant plus le monde, leur monde, qui est un monde essentiellement de mots.

À force de tout arranger, de tout trancher avec des mots, ils finissent par croire forcémentque tout est arrivé. Et en avant ! Et en avant les mots !

Nous possédons maintenant en France le plus soufflé brelan de vaniteux crétins pontifiants imaginables, les plus grands rhétoriciens, raisonneurs de travers de la Planète, les plus fieffés culottés épouvantables grands moralistes à faux de l'univers.

Revenons à nos juifs. Il se passera en Italie, en France, pour les youtres, exactement ce qui s'est passé pour la pseudo-antisepsie désastreuse. C'est facile à prévoir.

Ces semblants de déjudaïsations, ces antisémitismes mitigés, mesurés, littéraires, à mots couverts, feutrés, ne donneront rien du tout.Si vous voulez dératiser un navire, dépunaiser votre maison, vous n'allez pas dératiser à demi, dépunaiser seulement votre premier étage ?

Vous seriez certains d'être envahi dans un mois, par dix fois plus de rats, vingt fois plus de punaises. Les déjudaïsations à l'italienne, à la Maurras, à la circonlocution, ne me disent rien qui vaille. Ce ne sont que désinfections littéraires, non efficaces, irréelles. Je suis même persuadé qu'elles font aux Juifs beaucoup plus de bien que de mal.

Toute l'histoire ancienne et contemporaine nous prouve que ces simulacres, ces semblants d'action contre les Juifs réussissent admirablement !

Voyez les résultats ! Deux qui sortent par la porte, trente-six mille rentrent par la fenêtre. Et les demi-juifs ? Pourquoi par les demi-microbes ? les quarts de microbes ? Il faut savoir ce que vous voulez. Vous voulez vous débarrasser des Juifs ou vous voulez qu'ils demeurent ?

Si vous voulez vraiment vous débarrasser des Juifs, alors pas trente-six mille moyens, trente-six mille grimaces ! Le Racisme ! Les Juifs n'ont peur que du racisme. L'antisémitisme, ils s'en foutent.Ils peuvent toujours s'arranger avec l'antisémitisme. Le nationalisme est là pour un coup ! et le baptême donc !

Racisme ! Racisme ! Racisme !

Et pas qu'un petit peu, du bout des lèvres, mais intégralement ! absolument ! inexorablement ! comme la stérilisation Pasteur parfaite.

Si vous voulez faire seulement joujou, lancez-vous tout de suite dans les "équitables dosages", les judicieuses mesures, les nuances, l'anti persécutionnisme par exemple.

Du coup vous pouvez être tranquilles, vous les garderez tous vos Juifs, mieux encore, tous leurs cousins, leurs connaissances, leurs relations, (et Dieu sait qu'ils en ont !) ne manqueront pas de vous rappliquer des quatre coins de l'Univers attirés par votre renommée libérale, viendront se blottir sous vos ailes, pour vous admirer de plus près, vous et votre si fine, lumineuse compréhension de la dialectique culturelle, des hauts devoirs humanitariens, de la fraternité pro-juive, de l'identité de tous les hommes dans le malheur.

Vous serez gâtés ! Ah ! Vous ne serez pas l'ordure totale ! La brute indicible comme Hitler ! Pourquoi Maurras, je me demande, a-t-il peur du racisme ? Il a rien à craindre dans ses origines ?

Peut-être qu'il veut pas faire peur aux Juifs souscripteurs, aux "bons Juifs" ?

Conclusion : Par les morales les plus rigides, les mesures les plus terrifiantes on n'arrive pas à grand'chose avec les hommes, mais par les demi faux-semblants, les demi-teintes, les faux-fuyants, qu'est-ce qu'on espère ?

Autant bien mieux avouer tout de suite qu'on a rien envie de faire du tout, qu'on s'en fout.

Ça serait plus simple, plus honnête.

Et puis Amen nom de Dieu !

Et vive l'enfer du Talmud !