Pourquoi on la fait pas la guerre ?
Tout de suite ?
Que ça traîne ?
Pourquoi donc Français, petites têtes folettes, petits grelots insoucieux, petits turlupins jacasseurs on vous laisse comme ça au rabiot ?
Que vous avez pas encore rejoint tous vos dépôts du sacrifice ?
Une bonne fois pour toutes ?
Le 4ème, le 202ème, le 624ème Barbaque ?
Hein ?
Vous trouvez ça très normal ?
De pas être encore en pipe devant Vezoul ?
Épinal ?
En train de vous faire dépecer sur la frontière espagnole ?
En train de soulever les montagnes avec vos tripes dans les Abruzzes ?
Ça vous est dû les sursis que vous iriez dire pour un peu !...
Perdez donc cette illusion avant de perdre toutes les autres. Si vous êtes encore en vie, c'est pas de votre faute, ni de la mienne. C'est à cause d'une hésitation de l'Intelligence Service.
Depuis le moi de Mai déjà que vous devriez être au sport, en train de bouleverser la "Siegfried", d'écraser les hordes germaniques. Vous perdez rien pour attendre. Si les Anglais tergiversent c'est à cause du ravitaillement des Îles Britanniques. Uniquement. Ils gardent un très mauvais souvenir du dernier blocus. Il faut qu'ils importent la clape ou qu'ils crèvent de faim les Anglais. Ça les agace rien que d'y penser. Rien ne pousse à bouffer sur leurs Îles.
Les sous-marins ont bien failli la dernière fois réussir… Il s'en est fallu d'une pichenette.
L'Angleterre ne se nourrit qu'à la cuiller, par cargos, il faut que les cargos lui arrivent, lui montent jusque dans la bouche…
Qui coule ses cuillers gagne la guerre…
L'Angleterre coule sans falbalas, de faim…
C'est le danger, le seul, en ce moment, qui fasse encore réfléchir les gouvernements anglais, qui laisse un petit peu perplexe l'I.S…
Pour "cargos contre sous-marins", le problème est résolu, paré, étalé. On a compris. La défense est à la hauteur. Mais "cargos contre avions" ? et surtout contre avions en escadrilles ?...
C'est l'inconnu, on ne sait rien…
Pas grand'chose…
Aucune expérience valable, aucune certitudes. Voilà le hic, le seul. Le Gésier de la vieille Albion se contracte à l'idée…
Rien à bouffer dans ses Îles, sauf du charbon. Cargos contre avions en groupe ?
L'Aventure ! les experts de l'I.S. se tâtent…
Quand ils croiront avoir très raisonnablement résolu ce terrible problème : Protection des convois entre les Açores et Bristol, alors Français, mes petits pères, vous pourrez dire que vos pommes sont cuites, que vous allez sauter dare-dare parmi les mousqueteries folles, les conflagrations à n'en plus finir, les rougeoyantes fascinations. Tout de suite des débris plein la chambre, des cervelles partout !
Il ne faudrait pas croire non plus que ça va suffire désormais d'une méchante petite blessure, un, deux litres d'hémorragie pour vous éloigner des combats !
Ah ! pas du tout ! Des clous !
Vous serez requinqués sur place, refilés "pronto subito" dans l'impétueuse aventure, jusqu'à l'éventrage final : À la gloire de la corrida ! Ça va plus être une excuse d'avoir pissé le sang à glouglous pour se trouver pâle, exempt de sarabande.
Ah ! mais pardon ! Mais non ! Mais non !
Tout est prévu ! Et la Science alors ? Et le Progrès ? Ça serait pas la peine…
Et la Chirurgie aux Armées ?
Et les transfusions d'urgence ?
Vous connaissez pas le tout dernier mot de la Science "transfusionnante" ?
L'animal humain aux combats, grâce aux techniques très récentes de transfusions rationnelles, presque instantanées, sur les lieux mêmes de la bataille, a presque plus de raison de mourir. Non. On lui en remet immédiatement du sang, comme ça, sur le tas, la blessure encore ouverte, sang vivant ou sang "de conserve", selon l'heure, les conditions, l'état du cadavre. On le fait revivre pour combattre.
Le rendement de la soldatesque se trouve grâce à cette découverte, formidablement amélioré. Ça va barder les corps à corps ! 10, 20 fois mieux qu'en 14 ! Grâce aux transfusions ! 50 fois plus que sous l'Empire !
N'importe quel soldat pourra survivre désormais à de bien plus terribles blessures, de bien plus grands délabrements qu'en 14, des arrachements, des épanchements d'une gravité surprenante, des hémorragies qu'autrefois on aurait tenues pour fatales.
Les services de Santé, qu'une vigilance extrême, seront toujours à point donné avec leur sang "de conserve", en bonbonnes stérilisées pour remettre du jus dans les veines.
Le remède toujours à côté du mal. Les déperditions de forces combatives par hémorragies seront réduites au minimum.
Plus de ces massacres empiriques, de ces hécatombes au petit bonheur, de ces boucheries très grotesques comme à Charleroi par exemple, où tant de petits soldats furent éliminés, exsangues, beaucoup trop tôt, qui auraient très bien pu tenir, repompés, encore trois, quatre et cinq jours, sous les avalanches de mitraille.
Lacunes de technique !
Impréparation !
Ça n'arrivera plus !
À l'avenir on combattra jusqu'à la dernière goutte de sang, de son propre sang, de sang "injecté", de sang des autres, de sang d'autres vivants, de sang d'autres morts.
Ah ! "le Service des Injections compensatrices" jouera parfaitement son rôle sur les champs de bataille. La guerre est un sport comme un autre. On nous l'a assez répété. On a fini par comprendre.
Très bien ! Bravo !
Rappelez-vous la natation… Avant le crawl… après le crawl…
Ce fut un monde comme différence. Le jour et la nuit. Rendement, vitesse, endurance, décuplés !
La transfusion ça fera de même pour la guerre, ça bouleversera tout. Ça sera un miracle. La prolongation du soldat à travers les pires épreuves, comme on aurait jamais cru. Quatre, cinq fois la durée normale. Il suffira qu'on vous remonte avec une injection de sang, dès que vous aurez perdu, du vôtre, trop abondamment. Question d'organisation, c'est tout. C'est simple. Comme on repompe un pneumatique dès qu'il commence à s'affaisser.
À chaque fuite : un litre de sang ! Et hop ! Un coup de pompe ! Et ça refoncera de plus belle, la viande à bataille ! C'est fini les excuses faciles, les virées vers les hôpitaux pour une petite nappe de répandue… l'embrochage d'une artère quelconque… le classique broyage des tibias… c'était bon aux temps romantiques, ces petits trucs sentimentaux… les tragiques pérégrinations de ces "blessés très pitoyables pour populations larmoyeuses !"
Assez ! Y aura maintenant de la pudeur et de l'efficience aux armées. L'arrière ne voyant plus rien ne pleurnichera plus… Toute la cuisine conservatrice des "saignants" se fera dans les zones des armées, sur les lieux mêmes, à l'économie, à la dernière ampoule, au dernier globule, au dernier soupir.
On utilisera tous les restes, impeccablement, toute la viande, le jus, les os, les rognures du soldat, on gaspillera pas un troufion.
L'envers vaut l'endroit ! On recoud, ça tient, on injecte, c'est marre. Bonhomme comme tout neuf ! On vous fera durer jusqu'au bout, c'est bien le cas de le dire, vous et votre sang bondisseur, badin, fantasque, gicleur, éclabousseur, à la première écorchure.
On arrangera tout ça quand même, on vous remplacera le morceau tout entier (chirurgie Carrel). On vous fera complètement, méconnaissable, mais suffisant, on vous remplacera le sang aussi, et vous refoncerez dare-dare, couper les moustaches à Hitler, clouer les mitrailleuses ennemies.
Tous les "Services transfusionnistes" sont parés pour la grande épreuve. Écoutez, c'est un vrai plaisir ce que déclare à ce propos de Dr Tzanck, hématologiste très distingué, dans le très celtique Paris-Soir :
« On ne peut de toute évidence envisager de se servir des combattants (comme donneurs de sang) ce serait les affaiblir, car un donneur de sang doit être un sujet favorable, mener une existence tranquille et suivre un régime sain.
Faute de mieux, on se résignera au sang "de conserve", car malgré tout la meilleure manière de conserver le sang humain consiste à le laisser à l'homme.
Mais les inconvénients d'un pareil système sont nombreux… etc… »
Voilà, n'est-ce pas, de quoi bien vous rassurer ?
Vous aurez tout le temps pour conquérir vos citations, à la Brigade, au Corps d'Armée, peut-être même la Médaille, avant qu'on vous relève complètement mort. Et puis ça sera pas fini !...
Vous aurez encore de l'espoir !
On vous repompera…
Vous pourrez recharger encore… aller reprendre d'autres drapeaux !...
Ça devient vraiment trop facile avec des progrès pareils de se tenir héroïques des mois… des mois… des années…
Y aura plus de raison que ça finisse.