The Wall of Sound

Article de Brian Anderson pour Motherboard. Traduction exclusive Topinambours &c.

Ça ressemblait simplement à n'importe quel autre rendez-vous du groupe pour le Grateful Dead.

Trois des cinq membres d'origine du 'Dead se terraient à Novato, en Californie, dans leur local de répétition, un entrepôt aux couleurs de Pepto-Bismol (rose) situé derrière une pizzeria.

Bob Weir, Jerry Garcia, et Phil Lesh, alors dans la fougue de leur vingt ans, étaient rejoints par un petit cercle de techniciens, audiophiles, et psychonautes enthousiastes qui allaient devenir les instruments du succès encore balbutiant du groupe.

On ne sait pas vraiment qui avait organisé la rencontre ni pourquoi elle avait eu lieu ni ce qui était sensé en sortir, si seulement on en attendait quelque chose.

Il s'y était posé des questions sur "la technique, la musique, et l'exploration," se souvient Rick Turner, un facteur d'instrument et technicien qui se trouvait parmi la famille du 'Dead réunie ce jour là à Novato.

"Il n'y avait pas de contraintes."

"Chaotiques, pas dans le bon sens"

Ce fut un moment clé dans l'histoire du son qui a été le point de départ d'un travail de plusieurs années de préparation pour aboutir à ce qui est sans doute le plus grand et le plus innovant technologiquement système de sonorisation jamais assemblé, et ça n'a pas commencé avec un Bang, mais tout est parti d'une simple idée de mec défoncé.

Cette œuvre singulière de l'ingénierie sonore, qui ira jusqu'à peser plus de 70 tonnes, s'est vue comporter des dizaines, puis des centaines d'amplis, de hauts-parleurs, de sub-woofers et de tweeters, dressés sur trois étages et s'étirant sur près de 30 mètres.

Son nom ne pouvait être que The Wall of Sound, le Mur de Son.

Le Mur de Son, ou tout simplement le Mur, ne représente qu'un ilot sur le vaste horizon de l'histoire du Grateful Dead, mais il reste néanmoins la pierre angulaire sur laquelle se sont montés tous les sound systems de toutes formes et tailles, du matériel de discothèque aux installations massives déployées lors des méga festivals d'aujourd'hui et dans les stades de 61 500 places, comme au Soldier Field à Chicago, où les quatre membres survivants du 'Dead, y compris Weir et Lesh, achevaient une série de concerts pour célébrer le 50e anniversaire du groupe.

Revenons à l'entrepôt rose, où ils étaient sur le point de révolutionner l'ingénierie du son, la théorie acoustique, et la façon dont le public allait faire l'expérience de la musique live pour les décennies à suivre, et ils ne s'en rendaient probablement même pas compte.

Quelqu'un a allumé un joint :

"Vous savez, la solution c'est que la sono doit être derrière le groupe."

Nous étions en 1969. Il semblait que le son de Haight-Ashbury à San Francisco, la Terre Sainte du rock psychédélique où les membres du 'Dead ont été vénérés presque comme des dieux, avait résonné jusque sur la Lune et au-delà.

Comparée à toute la production musicale électrifiée à cette date, la musique était plus forte et plus urgente que jamais auparavant.

Peut-être que les drogues avaient quelque chose à voir avec cela, mais il y avait une vitalité de la musique, quelque chose d'inédit qui a résonné chez ceux qui ont cru que l'heure de leur génération, était venue.

Il n'y avait qu'un problème.

En dépit des innovations technologiques de pointe de l'époque, tous les systèmes d'amplification conduisaient les groupes au même point, avant mixages.

Garcia ou Jimi Hendrix sur scène, à leur plus fort, sonnaient chaotiques, pas dans le bon sens.

Aujourd'hui, les défenseurs du son de 1969 sont confrontés aux critiques qui affirment qu'à l'époque tout sonnait "sans-son", compte tenu des contraintes matérielles.

Cela ne remet absolument pas en question, la pure audace débridée des groupes de baby-boomers comme le 'Dead, au moins pas à leurs débuts.

Le point était que la technologie d'amplification ne suivait simplement pas leurs ambitions sonores.

Les Warlocks (sorciers)

Des conventions comme l'utilisation de retours sur scène (haut-parleurs tournés vers les artistes afin qu'ils puissent s'entendre eux-mêmes) étaient encore à leurs balbutiements.

Les systèmes de sonorisation étaient destinés aux animations d'intérieur, de type club de danse et en extérieur, aux sonorisations de type présentation de concours de beauté ou discours officiel, qui consistent à diffuser une bande vers le public, à l'époque, les amplis étaient positionnés sur la même ligne, légèrement devant, que les musiciens, et étaient distincts de la sono du groupe.

Le résultat étaient que les parties des musiciens étaient souvent entrecoupées de variations de volume, d'échos tumultueux, d'une distorsion impitoyable, et d'effet Larsen.

Les fréquences audios instables passaient par dessus le public, rebondissaient contre les murs, et se perdaient dans le vide.

Ce qui voulait dire qu'il était difficile pour Weir, Garcia, Lesh, Ron "Pigpen" McKernan, et Bill Kreutzmann — le reste de la formation initiale fondatrice du 'Dead — de s'écouter eux-même ainsi que d'écouter les autres membres du groupe, quand ils jouaient sur scène.

Cette crise du bruit à laquelle étaient confrontés les musiciens qui s'électrifiaient aux point culminant de la guerre du Vietnam est une réalité dissonante de l'histoire habituellement racontée dans les annales du Rock, et qui constitue, par là même, un exemple criant de cas où la question technique est mise de coté pour ne pas nuire à l'histoire qu'on aime se raconter.

Le son, qui a si radicalement réaligné l'arc de l'histoire de la musique, et de l'histoire en général, n'était pas parfait, et cette imperfection était largement due aux sonos rudimentaires.

Pour une bonne oreille ou à l'aulne d'une perspective moderne, les concerts en 1969 sonnaient au mieux, supportables, au pire, crasseux.

Cette situation était sur le point de changer...

"La sono doit être derrière le groupe."

S'il devait y avoir un catalyseur à cette rencontre, cela ne pouvait être que Augustus Owsley "Bear" Stanley III, le célèbre chimiste du LSD et visionnaire audio qui finançait le 'Dead et enregistrait leurs concerts depuis le début.

Bear, était un ancien danseur de ballet né au Kentucky, il était obsédé par le son autant comme concept que comme réalité physique.

Mickey Hart, second batteur ''on-again, off-again'' du 'Dead, a confié à Rolling Stone cette anecdote, qu'une nuit, en 1974, avant un concert à l'ancien Winterland Ballroom de San Francisco, il a surpris Bear dans un moment d'intimité et de communion sonique avec quelques uns des haut-parleurs du groupe.

Bear se tenait devant, seul, sanglotant à moitié, il parlait tendrement à l'électronique comme s'il s'adressait à des personnes :

"Je vous aime et vous m'aimez aussi," Bear leur faisait la cour, "Comment pourriez-vous me trahir?"

Bear avait une bonne oreille et de l'argent.

Il était déjà connu comme le fournisseur d'une grande quantité d'un LSD de grande qualité, qui avait inondé la région de la baie de San Francisco et au delà.

Cela paraissait une évidence qu'il endosse le rôle de gourou du son et de bienfaiteur du'Dead, et si quelqu'un était capable de discerner le groupe derrière les problème de bruit, c'était lui.

Bear savait que le groupe pouvait sonner mieux que ce qu'il montrait — plus clair, plus robuste — lors des concerts sinueux, enroulés sur eux même, que n'importe quelle Dead-head bien assaisonnée, considérerait aujourd'hui comme le morceau de choix de l'œuvre du 'Dead.

Bear était resté silencieux jusqu'ici à la réunion de l'entrepôt rose, se souvient Turner, quand soudain il pris la parole :

"Vous savez, la solution est que la sono doit être derrière le groupe" dit Bear.

Son idée était que cette configuration, qui permettait au groupe et au public d'entendre la même chose, allait éliminer l'effet Larsen, résultant d'un signal émetteur dirigé vers le récepteur.

Bear imaginait le groupe et le public faisant l'expérience de la même chose.

Cela aurait pour effet de combler la distance qui sépare l'artiste du public, les deux entendant exactement le même résultat provenant horizontalement d'une seule ligne d'amplis

"comme si tout le monde jouait en acoustique"

dit Turner qui assure que Bear était le seul à penser que le groupe ne serait pas noyé de Larsen si leurs micros étaient tournés vers les amplis.

Mettre les amplis derrière le groupe ?

C'était une idée délirante à cette époque—et précisément ce qui a donné à la notion de positionner l'ensemble du groupe devant la sono une telle clairvoyance prémonitoire.

Turner m'a dit que la proposition de Bear avait été "classée sans suite" à l'issue de la rencontre, mais que l'idée de placer le groupe entier devant la sono avait alors commencé à forer son chemin dans le front de l'inconscient collectif du 'Dead et de son équipe grandissante.

La sono Alembic, précurseur du Mur

Un bouillonnement expérimental, quoique de courte durée, s'achevant en 1974, qui a instauré le positionnement de la sono derrière le groupe, pouvant servir ainsi efficacement de système autonome de contrôle.

Cela a isolé les voix de tous les autres instruments, qui chacun avait leurs propres sonos.

Le système a produit des mixages d'une éclatante limpidité lors des concerts du 'Dead et a ouvert la voie au concept encore balbutiant de continuité audiovisuelle.

Le système a également été pionnier dans l'utilisation de ''Line Arrays'' (colonnes de haut-parleurs, littéralement empilés les uns sur les autres) conçus pour contrôler la dispersion du son en fonction des gammes de fréquences, ainsi que dans l'utilisation d'un système unique de micros anti-bruit, sensés réduire les saignements de fond des voix.

Il n'existait rien de semblable.

Les bases scientifiques du Mur étaient apparemment tellement en avance sur leur temps que tous ceux qui ont un jour évoqué cette aventure, y compris quelques-uns des nombreux ingénieurs à l'origine du Mur et membres du groupe élargi, ont déclaré qu'à peu près tout ce qui composait ce système particulier était resté quasiment inégalé depuis.

"La sonorité des instruments, la clarté des instruments n'a pas été égalée."

Assure Turner, qui travaillait pour Alembic, une marque de guitares et basses électriques et de pré-amplis dont la relation de travail étroite avec le 'Dead s'est avérée indispensable dans la conceptualisation et l'érection du Mur depuis le sol.

(Correction: Ron et Susan Wickersham ont fondé Alembic en Mars 1969. Turner et Matthews ont été associés à la société quand elle a été constituée en 1970; auparavant ils étaient des employés d'Alembic, mais pas les seuls.)

"C'est aussi simple que ça."

LA FONDATION...

The Grateful Dead a bouclé environ 150 concerts en 1969.

Ils jouaient, à l'époque, sur, à peu près, n'importe quel système d'amplification sur lequel ils pouvaient mettre la main. C'étaient un vrai groupe de techniciens, capables de tirer le meilleur du matériel, soniquement.

L'art de diffuser le son reproduit était limité alors à la gamme de fréquences, quelle qu'elle soit, sur laquelle les amplis, les hauts-parleurs, les subwoofers avaient été configurés, sans parler des dispositions des salles de concert et de la sono sur place.

Pour embrouiller le résultat encore plus, il apparaît que le mode de fonctionnement - par défaut - des techniciens en 1969 était :

"Tout à fond, c'est mieux !"

Le 'Dead était obsédé par leur son à un degré compulsif - ils étaient l'un des premiers groupes, sinon le premier, à utiliser des bandes 16 pistes en studio d'enregistrement.

Ils s'efforçaient de reproduire cette même précision technique sur scène, et pourtant ils ne pouvaient pas entendre grand chose de quoi que ce soit quand ils se produisaient live, au delà des ondes sonores distordues crachées de la sono quelconque, qu'ils étaient amenés à utiliser quelle que soit la date.

C'était un dilemme technologique qui prenait des proportions décidément existentielles, et qui faisait planer sur le groupe et sa confiance une ombre légère.

"Il n'y avait pas de technologie pour les instruments électriques"

Le Mur était toujours en chantier, c'était un exercice de bidouillage répétitif.

Richard Pechner, un charpentier qui a aidé à construire les coffres des enceintes du Mur (et dont les photographies des coulisses du groupe et de la sono, qu'on voit ici, sont considérées comme emblématiques), m'a dit que c'était une infatigable "expérimentation en comités".

Voilà pourquoi il est peut être risqué de dire que le premier concert du Mur à proprement parler a eu lieu à telle ou telle date, mais disons que celle du 23 Mars 1974, au Cow Palace, juste à coté de San Francisco, est considérée par certains comme la date du premier concert du 'Dead avec le Mur de Son au complet.

L'événement fondateur s'est déroulé au Boston Music Hall en Novembre 1973, se souvient Turner.

Quatre ans s'étaient écoulés depuis que Bear avait eu son illumination à l'entrepôt rose. Le 'Dead assurait de plus en plus de concerts dans des salles de plus en plus grandes, et simultanément conduisait leurs prestations sur des voies excitantes, sinon des chemins à défricher.

Une version d'une demi-heure de "Dark Star", un favori du public, pouvait s'avérer être un moment difficile à passer, même pour les plus fervents Dead-heads dont la frustration grandissait avec celle du groupe et sa malédiction sonore.

"Il n'y avait pas de technologie pour les instruments électriques," avait déclaré Lesh à Rolling Stone en 2011.

"Nous avons commencé par chercher les moyens de contourner les problèmes de distorsion et d'obtenir une sonorité musicale pure.

[Bear] a fait quelques recherches et a dit, "Utilisons les hauts-parleurs Altec et les amplis Hi-Fi et les amplis à quatre tubes, pour chaque instrument, et mettons les sur une estrade en bois."

Trois mois plus tard, nous jouions grâce au système de sonorisation de Bear".

Bear avait loué une maison à Watts, à Los Angeles. Il a ouvert ses portes au groupe, qui a trouvé l'endroit

"festonné de haut-parleurs de qualité studio, les mêmes que ceux qui équipaient les salles de cinéma", raconte Weir à Rolling Stone. "Un jour, [Bear] a déclaré:

"Eh bien, nous sommes sûrement en train de faire l'œuvre du Diable ici !"

Il avait raison en quelque sorte, à ce sujet - la musique, l'implication chimique, l'implication sociale.

Il fallait avoir une grande ouverture d'esprit pour ne pas s'en indigner."

Pendant ce temps, Turner, co-fondateur d'Alembic, Ron Wickersham, & Bob Matthews, un de leur employé, et le reste du cercle intérieur en expansion qui œuvrait sur le Mur, devenaient de plus en plus préoccupés par la notion de briser la différence qui pouvait exister entre le microcosme de la scène et le macrocosme du public.

Peu à peu, le moyen d'éliminer les différences entre les retours de scène, que le 'Dead utilisait, et ce que le public entendait s'est cristallisé.

"Cela a commencé à prendre un sens concret en terme de faire entendre au public ce que le groupe avait entendu," dit Turner.

Le 'Dead jouait sur une sorte de proto-Mur à cette époque ils se sont produits au Boston Music Hall à l'automne 1973.

C'était quelque chose comme une sono empirique qui restait un système stereo conventionnel, d'après Turner.

Ses haut-parleurs sur scène disposés en colonnes, présageaient des véritables tours de hauts parleurs qui allaient suivre.

Concocté ensemble avec des haut-parleurs JBL, des tweeters ElectroVoice, le tout dans des enceintes Alembic et contrôlé par des amplis McIntosh, la ''sono Alembic" le nom sous lequel ce système précurseur était connu, avaient pris tellement d'ampleur, raconte Turner, que une fois installé, il n'y avait plus assez de place pour une disposition de scène classique, à droite et à gauche.

"Ainsi l'échaffaudage a du être positionné basiquement derrière le groupe, juste comme Bear avait prévu.

Ce fut l'avancée principale dans la démontration que le Mur de Son pouvait effectivement fonctionner."

Ça c'était quand ça allait, quand les choses avançaient vraiment.

"Nous avons d'abord défriché pour voir ce qui se passait," se rappelle Turner.

Ils ont tous commencé par faire leurs propres câbles et leurs multiconducteurs, explique t-il, simplement parce qu'on ne pouvait pas trouver de matériel de haute qualité, à cette époque.

Ils ont re-conifié les haut parleurs qui avaient explosé ou qui s'étaient déchirés. Ils ont remplacé les membranes des tweeters qui en avaient besoin.

"Cela n'était qu'une gigantesque expérimentation, dit Turner, mais cela ne se passait pas ''au-p'tit-bonheur''.

Il y avait un solide raisonnement derrière chacune des parties du système, tout du long jusqu'aux fiches bananes et aux prises Jack tout en bas qu'ils utilisaient pour connecter les enceintes.

Nous faisions avec ce qui était disponible, et aussi avec des rudiments de bases pré-scientifiques à tout cela. 

La plupart de ces bases pouvaient être trouvées dans les écrits d'un ancien ingénieur du son de RCA Harry Olson."

La bibliothèque de physique de l'Université de Berkeley avait une copie d'un des manuels sur l'acoustique, introuvable en librairie, d'Olson, qui a perfectionné le microphone à ruban et fait œuvre de pionnier dans le domaine des hauts-parleurs et de la propagation du son, entre autres choses.

Lorsque le 'Dead a mis la main sur ce manuel par l'entremise de John Curl, un ingénieur d'Alembic, ils en ont fait des photocopies pour les distribuer au comité du Mur.

"Nous avions chacun notre Bible Harry Olson" dit Turner.

On ne sait pas vraiment si l'une de ces photocopies est arrivée jusqu'à Dan Healy, qui est depuis devenu l'ingénieur du son historique du 'Dead.

Bien qu'il n'ait pas fait de déclaration depuis à se sujet, il avait déclaré, qu'au début des années 70, il avait englouti toutes les études qui avaient été publiées dans les années 20 par les laboratoires Bell, fondés en 1928.

Le 'Dead n'a pas eu d'autre choix que d'explorer des terres vierges avec le Mur, quelque chose que Healy croit avoir été exponentiellement en avance, bien au delà de la simple compréhension du son par le groupe.

"Cela a occasionné d'immenses, immenses changements … qui ont toujours cours dans l'industrie musicale aujourd'hui," confiait Healy à Jym Fahey en 1992.

"Nous avons démystifié tellement de choses que vous en seriez étonné. Et nous avons aussi vérifié tellement de choses."

"Pendant la période de 1969 à 1974, l'ensemble de l'industrie audio a été complètement transformée et le Grateful Dead était au centre de ce phénomène. "

À son point culminant, le Mur de Son comprenait près de 600 enceintes JBL (15, 12, et 5 pouces) et plus de 50 tweeters Electro-Voice, le tout alimenté par environ 50 McIntosh MC3500 et MC2300 amplis à tubes, un des amplis les plus efficace de l'époque.

Il fallait une journée entière pour ériger le Mur à ce point, y compris son équipement particulier personnalisé, avec échafaudages et rampes d'éclairage.

Il fallait un semi-remorque pour transporter le système lui-même, qui évoluait au fil des mois, selon Turner.

Il y avait deux ensembles d'échafaudages identiques, chacun sur une remorque à 18 roues. (Bear affirme qu'il y en avait en fait trois.) Les lumières de scène étaient transportées dans un fourgon de 24 pieds.

Deux équipes de techniciens avaient été formées pour assurer les dates du groupe en tournée, chacune assurant à tour de rôle le pré-montage du Mur pour le concert du soir.

Lorsque l'équipe A arrivait avec le Mur dans une ville, l'équipe B avait déjà assemblé l'un des deux échafaudages. Cela donnait assez de temps à tout le monde de mettre tout en place pour le concert.

Ce qui contredit les allégations que le 'Dead avait construit un deuxième Mur de Son identique, bien que l'entretien n'en n'était pas moins pénible.

Le système, les coffres, les échafaudages et l'éclairage pesaient en tout 75 tonnes à son apogée.

Le tout s'est avéré trop lourd, trop minutieux, et cela coûtait simplement trop cher au 'Dead pour qu'il ne puisse le conserver que quelques années.

Le groupe n'a emmené avec lui des versions du Mur que sur les tournées US entre 1972 et 1974.

"C'était vraiment merveilleux, mais la situation l'était tout autant",

a confié Dennis "Wiz" Leonard, un ingénieur du son qui a travaillé en étroite collaboration sur le Mur.

"C'était inutilisable."

"Clair comme du cristal"

Le Mur, à ne pas confondre avec la technique de studio d'enregistrement par couches perfectionnée par Phil Spector du même nom, a eu une vie brève, mais reste un cran au dessus du brouhaha.

En plus de surplomber toute l'industrie musicale de sa seule stature, le Mur a fait avancer l'art et la science de l'amplification jusqu'à des sommets vertigineux jamais encore atteints.

Ce qui sera peut-être son leg durable.

Le Mur sonnait fort, bien que ce ne fut pas le système le plus puissant jamais dressé.

Aujourd'hui, la sono de Discothèque de James Murphy du responsable des enregistrements de DFA Record, ancien maestro du LCD Soundsystem, Despacio, peut envoyer jusqu'à 50 000 watts.

Ce qui n'est rien en comparaison avec le Large European Acoustic Facility installé dans les locaux de l'Agence Spatiale Européenne aux Pays Bas, qui vous tuerait si vous l'entendiez.

Il n'en reste pas moins que à près de 28 800 watts de puissance continue dans sa version la plus forte, le Mur était la sono la plus puissante jamais construite à cette époque et possédait une avance considérable.

Sur scène, le niveau sonore du Mur a atteint une fois près de 127 décibels. Autant qu'un avion de chasse qui décolle à 15 mètres.

Mais presque personne qui ait assisté à un concert du Mur ou qui était associé d'une manière ou d'une autre à sa conception, n'aurait eu l'idée de le comparer aux rugissements d'un F-16.

Le Mur émettait un son tellement clair — En Août 1974 un enregistrement d'un concert avec le Mur à Jersey City, New Jersey, en est un exemple parfait — cela ne paraît même pas fort.

La fidélité était aussi haute que ça...

"C'était simplement incroyable avec le système au complet" confirme Turner.

Il se rappelle une fiesta en extérieur à Santa Barbara, en Californie, au alentours de 1971 ou 1972, avec le Mur encore balbutiant, quand il s'est éloigné à un peu moins d'un kilomètre de la scène alors que les techniciens assuraient les réglages.

Turner pouvait l'entendre tout au long du chemin jusqu'où il se trouvait, clair comme du cristal, corroborant les affirmations de Bear que le son pouvait voyager d'environ 800 mètres avant de commencer à se dégrader.

"C'était phénoménal, s'enthousiasme Turner. C'était vraiment quelque chose d'époustouflant."

Wiz rappelle une expérience similaire avec le Mur, celle-ci en 1973 au Roosevelt Stadium, juste à côté de New York City. Là, Wiz se tenait, au fond du parking.

Le groupe, qui, à ce point de leur carrière pouvait attirer des milliers de personnes à un concert en plein air, avait été positionné sur ce qui pourrait être représenté par la surface de réparation, et les échos de leur balance se répercutaient au delà des tribunes extérieures.

Selon son estimation, pas loin de 100 000 personnes auraient pu trouver place entre le Mur et ses tympans.

"Même avec le vent qui se mettait à jouer avec le son — en le soufflant en quelque sorte au loin — ça restait clair comme du cristal tout le chemin jusqu'où j'étais."

Assure Wiz qui avait rejoint le 'Dead en 1971 par l'intermédiaire d'Alembic,

"La cohérence des vagues, la manière dont elles se propageaient, était vraiment incroyable."

Ils ne le savaient pas encore, mais il se trouve que chacun de mes parents s'étaient rendus au même concert en extérieur, l'une des premières sortie du Mur lors de la foire exposition d'état à Des Moines, en Iowa, le 13 Mai 1973.

Ma mère, qui plus tard cuisinera des cookies aux pépites de chocolat pour le groupe, alors qu'elle travaillait pour Howard Stein, un légendaire promoteur du rock installé à Chicago, était sur scène.

Mon père, qui plus tard aura l'occasion d'être roady notamment pour installer les tapis orientaux sur lesquels le groupe se produisait pendant les concerts du 'Dead dans le Midwest, se trouvait à environ 20 personnes de la scène à gauche.

"Compte tenu du fait que c'était il y a longtemps et que mon positionnement dans le public était près de la scène, sur un côté, il m'est difficile de me rappeler des détails,"

me confiait mon père,

"mais je me rappelle parfaitement que le son était bon pour un concert en plein air."

Bien que certaines des subtilités du Mur lui aient échappé plus de quatre décennies plus tard, il assure que

"le son était assez clair et que vers la fin de la deuxième partie d'un concert de trois parties (assez inhabituel).

Au cours de ''Here Comes Sunshine'' alors que ce jour là le ciel était très menaçant, le soleil s'est montré !"

Ces moments d'hyper-pureté, suspendus dans le temps comme une note sans fin, touchent au cœur même de ce qui faisait la réflexion et l'ingénierie derrière le Mur,

"Tellement en avance pour le son en lui-même, expliquait Wiz. L'avenir était à la baisse de la distorsion."

Ce qui à l'aube des années 70, signifiait contrôler la dispersion du son selon les fréquences.

Un concert rock qui sonnait cohérent consistait surtout à se débrouiller pour concentrer horizontalement les fréquences vers l'audience, plutôt que d'émettre des sommes de différentes fréquences dans un espace.

C'était l'idée de base derrière le Mur depuis le tout début, d'après Turner.

Il disait qu'ils en étaient arrivés à affiner minutieusement les réglages de ce qui était devenu la méthode la plus largement adoptée pour pousser les signaux sonores: la stéréo.

Le moyen le plus facile de se figurer la stéréo est de la voir comme la reproduction d'ondes sonores qui donnent l'impression de venir de différents endroits en dépit du fait qu'ils partagent la même source d'origine.

Cela produit un effet de rebondissement avec certains sons qui paraissent à l'auditeur arriver de gauche, de droite, du centre etc., quand tous les sons retransmis sont focalisés sur un point dans l'ampli (pour utiliser le langage courant) ou amplis en réseau, la sono.

En un mot, la stéréo est en soi, trompeuse.

C'était un des principaux sujets de mécontentement de Bear à propos des voix qui ne donnaient pas l'impression de sortir de la bouche des chanteurs, des riffs qui n'avaient pas l'air d'être joués par les guitares et de même avec la batterie, la basse, le piano.

Turner se rappelle Bear râlant :

"la stéréo ne marche pas !"

Pour une raison : En théorie et en pratique, la stéréo est une illusion.

Deux innovations clés forgées grâce au Mur — microphones à réduction de bruit et colonnes d'enceintes — vont faire exploser l'illusion de la stéréo et ramener le 'Dead à la vie.

Ils étaient peu nombreux à croire Bear lorsqu'il disait que le 'Dead ne produirait pas de vagues de Larsen en jouant avec tout le matériel dans le dos.

Mais c'était à l'hypothèse de Bear que, d'après Turner, Ron Wickersham adhérait, c'est à dire que si les micros pour le chant et les enceintes auxquelles ils sont reliés ne renvoient que des réponses vraiment ''plates'', c'est qu'ils reproduisent les sons de leurs sources d'entrée à un haut degré de précision, dans ce cas le Larsen n'est plus un problème.

"Un événement macro-acoustique"

Turner m'a dit que ça c'était avéré plus vrai que personne ne l'aurait imaginé, bien que pas autant que ce que Bear et Wickersham ne l'avaient espéré.

Par conséquent la principale raison qui se trouve derrière le système innovateur de microphones à annulation de bruit, ajoute Turner, était

"d'annuler tout ce qui pouvait être collecté également."

En revoyant n'importe quel extrait de film ou sur des photos du 'Dead jouant avec le Mur, il est difficile de louper les paires de microphones multi-directionnels de piètre qualité, empilés dans les modules des voix de manière à les déphaser, ce qui consistait à les faire s'annuler les uns et les autres.

Qu'importe qui chantait, disons Weir, dans le micro du dessus, qui se situait à environ trois pouces de celui du dessous qui captait l'ambiance sur scène. Les deux signaux étaient combinés dans un ampli spécial, ce qui annulait le son du Mur, qui n'était autre que le son normal des micros.

Tout ce qui restait et en toute clarté, c'était la voix amplifiée de Weir.

Si jamais n'importe lequel des vocalistes du 'Dead n'était pas collé à la membrane de son propre micro, il entrait en phase ce qui rendait un effet nasillard de voix de dessin-animé.

Rob Jaczko, directeur du département Technique et Production musicale à l'Université de Berklee, m'a dit par courriel que ces micros à annulation de bruit étaient complètement inefficaces pour l'enregistrement.

Jaczko, qui n'était pas impliqué dans le Mur et qui ne peut rapporter que des anecdotes assure pourtant que ces micros "sonnaient mal."

Indépendamment des imperfections, le système de microphone à annulation de bruit du Mur à réduit les saignements de fond du chant dans ce qui en 73 avait grandit sous la forme d'une colonne monolithique conçue pour contrôler la dispersion de toutes les fréquences.

La physique derrière tout cela fonctionnait en faisant correspondre la hauteur des colonnes de haut-parleurs avec les longueurs d'ondes accoustiques, ce qui rendait une distorsion inter-modulaire exceptionnellement basse.

Une qualité qui selon Turner avait l'effet de grandes orgues.

"Quoi que vous vouliez dans la sono, y était, tout ce que vous ne vouliez pas, n'y était pas."

Et cela parce que le Mur était une sono composée de sonos — six sonos indépendantes, une pour chaque instrument.

Guitare solo, guitare rythmique, les voix, la basse, la batterie, et le piano, chacun avait sa propre sono, d'après la Newsletter 19, des Dead-heads de Décembre 1974.

Cela fonctionnait juste en mixant le tout avec une paire de hauts-parleurs.

La plus grande réalisation, à coté de l'aspect véritable ligne source du Mur, comme me le confiait Wiz, était simplement de rendre toute spacialisation inutile, de même que les réglages sur une table de mixage.

Le Mur était le premier sound system de son genre à suprimer la nécessité de disposer d'un sonorisateur devant la scène, qui règle les volumes sonores des divers amplis de "retours" sur scène.

Chaque micro du Mur avait son propre contrôle du volume, ainsi le groupe avait la possibilité de mixer les voix sur scène en jouant.

Chaque membre du groupe avait le contrôle total de son propre environnement sonore, et était à même de bidouiller les niveaux de l'ensemble des instrument qui jouaient derrière lui et aussi son propre instrument. 

"Aussi loin que je sois concerné, un sonorisateur aurait été aussi superflu que des mamelles sur un sanglier" écrivait Bear des années plus tard. 

Tout ce qu'il aurait eu à faire c'est de vérifier que tout fonctionne et que ça ne casse pas ; brancher les câbles et les débrancher.

Tous les contrôles de ce qui était destiné au public se trouvaient entre les mains des membres du groupe eux même.

C'est le seul moyen d'arriver à s'approcher de l'Art véritable

"Ainsi, derrière chaque musicien, disons Garcia, se trouvait une colonne d'enceintes.

C'était son système, une seule source avec un seul programme, sa guitare. 

Tous ce qui composait son propre son, à l'exception de quelques enceintes de remplissage que seuls les musiciens pouvaient entendre, venait de là, assurait Wiz.

Vous vous repériez grâce à lui — Vous regardiez Jerry sur scène — et le son provenait d'où il se trouvait.

De la même manière avec Bobby, comme pour le piano, comme pour la batterie."

Cette continuité audio-visuelle était sans conteste la carte de visite de l'expérience du Mur de Son.

Cela a créé ce que Turner à appelé "un événement macro-acoustique."

Cela a fait résonner un accords profondément primal, au moins chez ceux dans le public qui étaient aux premiers rangs.

La localisation sonore est chez l'être humain, l'un des mécanismes auditifs les plus ancestraux et perfectionnés, après tout.

"C'est l'une de ces choses sur lesquelles la survie des chasseurs-cueilleurs dépendait, dit Wiz.

Il existe des connections pré-cognitive entre notre oreille interne et les muscles du cou, explique t-il, qui inter-agissent quand on entend des sons transitoires, c'est pour ça que nous ne pouvons pas nous empêcher de tourner la tète quand on entend un stimulant auditif, un bruit.

C'est très puissant, explique Wiz.

L'essence du Mur de Son était que le paysage auditif était réel et pas adultéré."

En d'autres termes, une personne dans le public à un concert du Mur avait l'impression que les voix qu'il entendait provenaient vraiment de la bouche des chanteurs.

Elle croyait que les bombes ultra-basses étaient vraiment expulsées de la basse Alembic quatre corde de Lesh ; que l'immense répertoire d'accords de Weir jaillissaient réellement de sa Gibson 335 ; que le roulement martiaux de Kreutzmann correspondaient parfaitement avec l'instant où ses baguettes rencontraient la peau des toms comme les étincelles jaillissent d'un silex quand on le frappe ; que les solos de Garcia sortaient vraiment de sa Doug Irwin/Alembic guitar personnalisée.

Imaginez les jeux d'esprit que cela entraînait quand chaque individu à un spectacle du Mur, y compris le groupe, avait absorbé un buvard ou deux du légendaire acide de Bear.

Il aurait été difficile de ne pas être fasciné par la sono titanesque, si elle n'avait pas été presqu'entièrement dans l'obscurité quand le groupe se produisait à l'intérieur.

Les jeux de lumière du Mur faisaient en sorte de le conserver dans l'obscurité. Il fallait faire en sorte que le système ne soit pas au centre de toutes les attentions.

"Le meilleur moyen de se rendre compte les choses fonctionnent vraiment bien c'est que le public ne se focalise plus seulement sur le matériel mais sur la musique, confiait Turner. Et alors même le meilleur matériel disparaît.

C'était une expérience intime. Les lumières devenaient de plus en plus liquides, elles glissaient entre vos doigts mous pour aller se perdre dans l'espace intersidéral,"

peut-on lire dans l'un des premier papier sorti sur l'expérience, ou l'auteur avoue avoir été happé (ndt : gobé) par le Mur :

"Les notes de musique se cristallisaient en gouttelettes et tombaient à vos pieds."

"Le Mur permettait au groupe de jouer super fort sans se tuer ou griller les premiers rangs — Être fort et avoir un son propre jusqu'au fond de l'immense salle, et un suprême contrôle musical car nous contrôlions tout depuis la scène,"

confiait Phil Lesh au San Francisco Chronicle la veille de ce fameux concert de Mars 1974 au Cow Palace que certains considèrent comme la première apparence du Mur complet.

"Pour moi, c'était comme piloter une soucoupe volante ou surfer sur sa propre vague."

Il n'est rien de dire que la parfaite stabilité du tout était cruciale pour le groupe.

Il y avait toujours des cracs dans le Mur. Des composants du système se détachaient régulièrement de la masse et tombaient en explosant sur le sol.

"Quand ça marchait, ça marchait fantastiquement bien" admet Turner, quand ça ne marchait pas, c'était un problème.

Mais nous étions les seuls à nous en rendre compte et à le détecter."

LA CHUTE

Mais cela avait un coût.

Pechner, un charpentier du Mur, a un jour confié à Audio Junkies qu'il avait entendu quelqu'un dire à une réunion du groupe que la valeur de l'ensemble du Mur, de la conception à l'expérimentation et la mise en pratique, pouvait s'élever à quelque chose comme 275 000 $. (environ 1.3M$ aujourd'hui.)

"Je suis certain que cela coûtait plus !", dit Pechner.

Quelque fut le vrai coût du Mur, avec toutes les dépenses associées, comme payer l'équipe, ça a ruiné le groupe.

"D'un point de vue élargi sur l'histoire du phénomène Grateful Dead, on ne peut pas faire abstraction du fait que le Mur les a tout simplement ruiné financièrement",

explique Nicholas Meriwether, conservateur en chef des Archives officielles du Grateful Dead à l'Université de Californie à Santa Cruz.

"ça les a siphonné jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien".

A la fin de 1974 le Mur avait atteint son plafond proverbial et à partir de là il n'a fait que s'éroder.

"J'entends les rumeurs, dit Turner. Il y a un entrepôt ici, il y a un entrepôt là, il y a une pile de ceci, une pile de cela. Qui sait?

Je ne sais pas, l'entropie, tu sais, ça a fondu. This is where the mix can get muddled. 

J'en sais probablement autant que toi à ce sujet" m'a assuré Meriwether.

Que Bob Weir a donné une interview à la fin de l'ère Mur de Son dans laquelle il disait "On va en vendre des parties et en conserver certaines."

D'après ce que je sais c'est ainsi que ça s'est passé."

C'est le genre d'information que les Archives, une collection d'images privées, de posters et de divers objets en rapport avec le 'Dead, ne relatent pas, dit Meriwether.

Il a récemment fait l'acquisition d'un ensemble de pièces, préservées par un employé de bureau anonyme du groupe, qui comprend quelques enregistrements originaux du 'Dead dont des extraits de l'époque où ils imaginaient encore le Mur au début des années 70.

"Cette partie est très très cool, dit Meriwether, même si cela souligne le fait qu'une grande part du Mur avait été conçue au fur et à mesure, par tâtonnements."

Je lui demandais alors si il avait une idée où les parties du Mur avaient pu atterrir et en conséquences, qui avait eu quoi ?

Meriwether me prévient que tout ce qu'il m'en dit n'est que ce qu'il en avait entendu, mais il assure que le Mur, qui était modulaire, était construit en sorte qu'il était facile d'isoler des parties entières de la sono pour les démonter et les vendre, ou comme le veut la légende, les léguer à Hot Tuna, Jefferson Airplane, et d'autres groupes de la famille élargie du 'Dead.

C'était un système presqu'entièrement construit avec le meilleur matériel, d'après Meriwether, ce qui comprenait certaines pièces des enceintes comme les drivers (les transducteurs qui convertissent l'énergie electrique en vagues audios) et tous ces amplis McIntosh MC2300 à tubes.

"De purs chefs d'œuvres ! assure Meriwether. Tout le monde les voulait."

Il apparaît que d'autres éléments du Mur, tels que le système de micros à annulation de bruit, ont été beaucoup plus difficile à liquider pour le groupe.

Meriwether pense qu'il devait y avoir certains composants de la sono qui n'étaient simplement pas réutilisables, cependant il tient pour un fait avéré que le 'Dead à réutilisé des parties du Mur.

"Ce n'est pas parce que le Mur a été démantelé qu'ils n'ont pas continué à utiliser les drivers, et d'autres éléments et composants du Mur encore de nombreuses années après cela," dit Meriwether.

À l'occasion d'un festival de 5 jours au Centre de Conférences Keiser à Oakland, en Californie, en Septembre 1979, par exemple, quand le 'Dead a ressorti les blocs vocaux du Mur pour ce qui pouvait ressembler à un tour d'honneur.

Le 'Dead a continué les tournées avec l'ensemble pour piano du Mur d'origine, dont un coffre en aluminium nid d'abeille conçu par Bear et isolé avec des blocs en caoutchoucs spéciaux, comme composant d'

"une petite sono qui servait pour des salles de 3 000 personnes," m'a dit Wiz.

Le Kaiser rentrait dans cette catégorie, et Wiz confiait que l'événement avait rassemblé au même endroit

"Tous ceux dans la région de L.A. qui avaient quelque chose à voir avec le son"

Le bloc des vocaux, qui traînait apparemment inutilisé dans un entrepôt du coin, avait été re-conditionné en enceintes de 12-pouces, et ainsi intégré à la sono du Kaiser.

C'était amusant, de voir comme il déparrait avec le système de 16 subwoofers personnalisés que Wiz disait avoir été originellement conçus pour Apocalypse Now, qui formait la base du système du Kaiser.

Il y eut aussi une série de concert pour le nouvel an à l'auditorium d'Oakland quelques mois plus tard, qui encore une fois avait utilisé une sono réduite qui faisait partie du vieux Mur. Mais ce fut tout.

"Je pense que c'est la dernière fois que quoi que ce soit de ce truc à repris vie."

Dit Wiz, qui confirme que le Mur de Son à proprement parler, est tombé dans le silence à la fin de 1974.

Le 'Dead était devenu un groupe-entreprise à ce moment là, avec des projets et des ambitions qui avaient un air d'ouroboros.

Ils ont décidé de faire une pause dans les tournées jusqu'en 1976. Ils étaient exténués.

Avec le temps, la bande de personnages dépareillés qui avait bâti le Mur s'est retrouvé "balkanisée," me disait Turner.

La cohesion s'est relâchée au sein du conseil à partir du moment où Alembic a commencé à se retirer du projet, en en faisant de moins en moins pour le 'Dead, d'après Turner.

"Chacun avait sa petite chasse gardée," racontait Turner, qui a quitté Alembic en 1978, "c'était vraiment dur."

Wiz s'en rappelle différemment. L'équipe du Mur, explique t-il, était une machine très très bien huilée.

Le Mur était tellement malpratique que seul le 'Dead pouvait s'en servir.

Il n'y avait jamais vraiment de première partie parceque la sono, elle même, ne se prêtait pas à une utilisation conventionnelle. A la recherche d'une meilleure acoustique, de voir le 'Dead retrouver leur destinée sonore, il aurait semblé que les membres de l'équipe devaient se tenir à l'écart de toute chicanerie et simplement bougoner.

In pursuit of a greater sonic good, to see the 'Dead regain their sonic destiny, it would seem crew members had to set aside any quibbling and just crank.

Wiz, qui est maintenant superviseur et re-recording mixer au Skywalker Sound, avoue qu'il écoute encore les morceaux du 'Dead sortis entre 1972 et 1978, la période pendant laquelle il était le tourneur du groupe.

Il conserve une paire de caisson à trois voies qu'il avait construit il y a des années avec des hauts-parleurs de 12 pieds qui faisaient partie du Mur de Son d'origine.

"C'est plutot cool d'avoir ça, en convient Wiz. Il y a des collectionneurs avides qui pourraient dépenser des milliers de dollars pour posseder ce genre de vestiges."

Dans les salles des ventes et sur les forums d'internet, il y a une grand clameur au sujet de ce qui pourrait être appelé un tremblement de Mur.

En 2007, deux coffres d'enceintes en piteux état qui faisaient partie du Mur, chacune couverte d'autocollants et de graffiti du groupe, soit disant, parmi les derniers encore existant, ont été présenté à Bonhams, des commissaires priseurs privés britanniques ''parmi les plus anciens et les plus importants'' selon eux même, ensemble, les deux coffres ont été vendus 2 800 $.

Cinq ans plus tard, encore chez Bonhams, deux enceintes de la partie de Garcia sont parties à 12 500$. Encore en 2007, Simon Babbs (le père duquel, Ken, avait participé aux sessions originales Kool-Aid Acid Tests du 'Dead) a vendu pour une somme inconnue ce qu'il assurait être un cabinet d'enceintes de l'époque du Mur.

Début 2013, il paraît qu'une paire de hauts-parleurs usagés s'est vendue sur eBay.

… Une source sure m'a informé que Dan Healy pourait être derrière cette vente, et que Healy avait empoché la somme sympa de $3 100 pour les enceintes.

Avec plus de quatre décenies et une courte vie, la masse de 75 tonnes d'électronique continue de titiller la fascination pas seulement des Dead-heads dévots mais des audiophiles, des ingénieurs, et des historiens, quelques uns parmi ceux qui ne pouvaient pas moins s'intéresser à la musique du 'Dead.

Il semble que le meilleur témoignage de l'aspect révolutionnaire dans la physique du Mur, est qu'une paire usagées d'enceintes de Garcia, qui n'a servi que sur une petite partie des 2 318 concerts assurés par le groupe pendant les trente ans de leur première tournée, peut atteindre plus de 10 000 $ lors d'enchères de haut-vol.

De même que les composants réputés du Mur étaient recherchés comme les tessons d'un Saint-Graal sonore. Mais les autres, même authentifiés, composants du Mur, ne font rien d'autre de nos jours que de prendre de la place.

Meriwether dit qu'il ne trouve pas beaucoup d'intérets à exposer des vieilles parties, qu'il est resté seul à chasser, sauf au cas ou on en viendrait à créer un corpus encyclopédique sur le Mur.

"Je ne suis pas certain de me mettre vraiment un jour à la recherche d'autres composants du Mur," m'a confié Meriwether.

Il préfèrerait collecter des images, des shémas et toute la correspondance au sujet de la sono, en plus des plans de scène et de montage qui décrivent le challenge logistique que constituait le montage sur un concert du Mur.

Aussi loin que cela le concerne, c'est ce genre de matériel léger, pas le gros matos, qui aidera les chercheurs dans 200 ans à comprendre ce que le Mur de Son représentait vraiment.

"Ce qui est ?" Ai-je demandé.

"Le mur de Son représente le premier véritable sommet atteint par le groupe dans leur éxigence de perfectionnement de leurs moyens de jouer en direct, dit Meriwether, de contrôler leur son "live" au niveau de précision qu'ils avaient acquis au cours des enregistrements en studio."

ECHOS - RÉPERCUTIONS

John Klett ne s'intéresse pas particulièrement au 'Dead. Mais il est endetté, et pas qu'un peu, envers le groupe, l'équipe très élargie et les ambitions sonores sans limites qui se manifestaient à travers la philosophie de l'ensemble, particulièrement pendant les années du Mur.

Si ça n'était pas pour eux, la sono 50 000 Watt tempo médium de Klett, qu'il a concu et construit avec James Murphy, aurait une allure et un son très différent de celle qui est encensée unanimement dans les discothèques qu'elle permet de remplir dans le monde entier.

J'ai même eu l'impression de la part de Klett que Despacio, alors que la boutique de sono qu'il possédait avec Murphy a doublé de taille, n'aurait peut être jamais été réalisé au dela du plan sur le papier, ne serait peut-être jamais allé au delà de la table à dessins sinon pour le travail que le 'Dead et son équipe avaient mis dans le Mur des dizaines d'années plus tôt.

"The Grateful Dead a initié une industrie complète, si on y pense, dit Klett. Ces mecs étaient fous."

C'était en 1997. Deux ans avaient passé depuis que le Grateful Dead avait à proprement parler, fait long feu, après que les drogues, la tournée sans fin, et les démons de la célébrité aient finallement extirpé le meilleur de Garcia.

James Murphy, un jeune DJ producteur, vivant à New York, voulait monter un studio à Brooklyn, et il savait que quelque part Klett pourrait l'y aider.

"Je ne sais pas vraiment qui a donné mon numéro à James,"

me disait Klett, un technicien audio, consultant studio et ingenieur d'enregistrement, basé à New York City.

"Mais il m'a trouvé, il m'a appelé et m'a dit : J'vais monter un studio !"

Tout deux en arrivèrent à construire ce studio, forgeant un partenariat qui continue à ce jour.

Ensemble, avec 2ManyDJs' David et Stephen Dewaele, Murphy et Klett ont passé deux ans à copier Despacio, ce qui en espagnol, veut dire "lent."

Un nom parfait pour une sono qui joue des 45 rpm 7-inch vinyl à un voluptueux 33 rpm. Despacio fait de n'importe quelle hit de boite de nuit sonner comme si il avait sombré dans un K-hole.

S'il devait y avoir un sound system qui transparaissait dans leurs plans initiaux, avant que les quatre audiophiles ne commencent à construire Despacio à partir de zéro, explique Klett, c'était la sono hi-fi conçue par Richard Long à l'ancien Paradise Garage de West SoHo, prétendument la plus importante discothèque underground dans l'histoire de la pop et de la musique de dance contemporaine.

Mais même cela ne restait qu'une lointaine et vague référence pour Despacio, que Klett considère comme "une sorte de truc unique."

Il n'y a vraiment aucun sound system de cette qualité, passé ou présent, d'à peu près équivalent à Despacio. Imaginez le remisé à coté du Mur, pour se rendre compte que Despacio est concretement miniature.

Il pèse 7,5 tonnes et est composé de sept tableaux d'enceintes McIntosh de 3,5 mètre et d'une paire de sub-woofer de 21 pouces, le tout tenu en place dans un coffre en bois à armature métalique.

Lors de ses débuts en 2013 au Festival International de Manchester, Despacio a atteint les 150 db — environ aussi fort que le décollage d'un jet à une distance de 8 mètres, capable de transpercer les tympans.

Ce qui est considérablement plus élevé que les niveaux que le Mur n'a jamais atteint, ce n'est pourtant que 20 % des capacités de Despacio, d'après ce que David Dewaele a confié à Wired UK.

Le but n'étant pas de noyer les clubbers dans le bruit mais d'accorder chacun d'eux avec une gamme audio dynamique égalisée complète, précisément en n'ayant pas à pousser Despacio au maximum de ses capacités, même pas de les approcher.

"Il y a une tonne de marge," comme le disait Klett à Wired, faisant remarquer le timbre pur et relaxé de Despacio.

Il aurait aussi bien pu parler du Mur. Les deux sonos partagent un peu d'ADN sonore, dans le sens ou la réflexion derrière Despacio est très semblable à celle qui était à l'origine du Mur.

Comme le Mur avant lui, Despacio est conçu pour contrôler la dispersion du son à toutes les fréquences.

C'est cette approche basique de la conception sonore que Klett considère comme l'une de innovations clé du Mur.

"C'était le genre de philosophie que nous avions, me dit-il, qui est de dire, gardons le choses le plus simple possible.

Mettons des enceintes efficaces dans des boites simples et donnons leurs la puissance nécéssaire pour que leurs enceintes respectives fonctionnent.

Évitons d'avoir trop de fabrication, ne pssons pas un an à dessiner les structures sur ordinateur et d'avoir à faire une tonne de traitements numériques pour que ça marche vraiment.

Amplis, enceintes et boite. Simple convergence, réalisée. Rien de plus, débite Klett pratiquement sans reprendre son souffle.

Tout est physiquement aligné. C'est une solution maximale dans une structure obtenue à partir d'un ensemble de critères minimums."

Ce qui explique les couvercles en Plexiglass sur le rack d'amplis de Despacio, un simple bricolage qui évite que toute l'énergie expulsée du cabinet 12 pouces ne fasse des ricochets partout dans la salle explique Klett.

Au delà de la conception, le spectre de fréquences de Despacio est aussi divisé de manière similaire à la façon dont Bear et le 'Dead avaient divisé le spectre du Mur, l'idée étant de ne pas encombrer les enceintes individuelles et les hauts-parleurs de bande passante en trop.

Effectivement, il n'y a pas de stress dans le mix.

C'est une approche de l'optimisation spectrale qui n'avait vraiment jamais été prise en compte avant l'arrivée du 'Dead, affirme Klett.

De même, les deux systèmes sont construits avec la même technologie d'amplification analogique.

Quand j'ai demandé à Klett quelle était la vision originale qu'ils avaient en tête, lui, Murphy et les frères Dewaele, pour Despacio, il a répondu qu'ils s'étaient représenté une grande enceinte raccordée le long des lignes de haut-parleurs utilisées dans le Mur.

"Ils avaient les mêmes haut-parleurs," dit-il, se référant en général à McIntosh.

Klett confiait qu'il doit se demander si McIntosh, qui fournit maintenant Despacio en haut-parleurs, aurait rechigné à un partenariat potentiel avait le 'Dead pas été ainsi pris avec le MC2300 comme cœur du Mur.

"Cette chose a eu une courte durée d'utilisation, il en sera de même pour Despacio, admet Klett.

Despacio ne va pas durer aussi longtemps. C'est juste une chose horriblement pas pratique."

HIGH NOTES

Bear avaient des visions apocalyptiques.

Il commençait à prévenir tout le monde au sujet des vents nucléaires, et alors que les années 1970 touchaient à leur fin, il est devenu

"absolument convaincu qu'une catastrophe nucléaire et des tremblements de terre allaient arriver tôt ou tard,"

d'après ce que Sam Cutler, ancien ami et ''tourneur'' du 'Dead, a dit à Rolling Stone.

Bear a décidé de quitter l'Amérique. Il est allé s'installer en Australie, où il est mort dans un accident de voiture en 2011. Il avait 76 ans.

Il y a eu un changement "énorme" dans l'industrie musicale post-Mur, dit Turner, et il ne voit pas quel autre groupe autre que le 'Dead

"aurait pu se permettre et financer ce genre d'expérimentation avec laquelle nous devions nous débrouiller pour nous en sortir"

à la fin des années 1960 et au début des années 1970.

Une des plus grandes ironies de ce moment historique, chargé comme il était dans la remise en état de certains minimum de contrôle populiste, est qu'il est venu avec des pertes considérables de contrôle artistique. (One of the greater ironies of that historical moment, steeped as it was in the reclamation of some modicum of populist control, is that it came with considerable losses of artistic control).

Le Rock and roll était en train de se noyer, et le Mur a offert la première grande bouffée d'air pur.

Pour la première fois, un groupe de musiciens pouvait s'entendre eux-mêmes penser parce qu'ils pouvaient s'entendre eux-même jouer de leurs instruments.

Cette barre est toujours perchée à peu près aussi haut que tous ceux qui se terraient dans l'entrepôt rose ce fameux jour de 1969.

(For the first time, a group of musicians could hear themselves think because they could hear themselves playing their instruments. That bar is still set about as high as anyone holed up at the pink warehouse that one day in 1969).

De nos jours, Turner souhaiterait qu'il y ait un esprit d'expérimentation plus coopératif parmi les musiciens et techniciens du son.

Il affirme qu'il y a encore beaucoup de choses qui pourraient être faites avec la technologie de réseau phasé dans lequel les techniciens peuvent ajuster des retards isolés pour chaque haut-parleur de la sono, le temps que chacun d'eux tire sa puissance de ses propres amplis dédiés.

C'est la même technologie qui est utilisée pour diriger un système de radars en réseau, de sorte que les antennes n'aient pas à se déplacer physiquement pour balayer le ciel.

Parfois Turner pense à ce qui aurait pu advenir ensuite.

Il dit que l'étape suivante logique, pour peu que le Mur ait duré plus longtemps qu'il ne l'a finalement fait, aurait été de verrouiller l'ensemble des coffres et "de simplement abandonner aux humains" tout à fait. (and "just give up on humans" altogether.) 

Il suffit de dire, OK, cette chose doit pouvoir être transportée au transpalette," dit Turner, ajoutant que l'idée aurait été de dé-doubler le Mur afin qu'il intègre son propre échafaudage.

À l'exception peut-être de la rampe lumière, il n'y aurait pas eu besoin de scène indépendamment de la sono. Un système équivalent au Mur, même beaucoup plus portable, pourrait également être monté aujourd'hui.

Mais la physique derrière le fait de faire correspondre les longueurs d'onde acoustiques avec la hauteur des colonnes de hauts-parleurs - la physique qui avait défini le mur - ne peut pas vraiment être dépassée, du moins pas encore.

Comme Wiz l'a fait remarqué,

"Nous sommes encore en train d'essayer d'atteindre ce son."

Liens :

The Wall of Sound | Motherboard

Grateful Dead Live at Barton Hall, Cornell University on 1977-05-08 : Free Download & Streaming : Internet Archive

The Grateful Dead's "Wall of Sound" system was fucking massive. : Music

An Insider's Look at the Grateful Dead's Wall of Sound [audiojunkies]

Grateful Dead - Wikipedia, the free encyclopedia

Grateful Dead - rpechner

Harry F. Olson - Wikipedia, the free encyclopedia