Intelligence Artificielle, Robotique et la fin du Travail

Une enquête d'Aaron Smith et Janna Anderson.

Dernier volet de la série de questions posées par le Pew Research Center, pour marquer les 25 ans du web.

Le résultat est le fruit d'une participation volontaire d'experts identifiés comme fabricants de technologie, analystes ou ayant fait des prévisions remarquées lors de précédentes enquêtes. 12.000 experts ont été contactés, environ 2000, en grande majorité des États Unis, ont accepté de répondre à la question suivante :

L'impact économique des avancées de la robotique et I.A. :

Voitures sans chauffeurs, agents numériques qui peuvent agir à votre place, tous les robots progressent rapidement. Les automates, les applications de l'Intelligence Artificielle et les robots, auront-ils remplacé plus d'emplois qu'ils n'en auront créé en 2025 ?

Décrivez dans quelles proportions les robots et l'I.A. auront perturbé le quotidien des 'cols blancs' et des 'cols bleus'. Quel en sera le niveau d'intégration dans le paysage quotidien. Décrivez quels segments de la vie des gens changeront le plus et lesquels seront épargnés.

Illustrations Boris Artzybasheff

Première constatation, la grande majorité des experts interrogés, prévoit que, en 2025, la robotique et l'Intelligence Artificielle auront infiltré de vastes pans de la vie quotidienne, avec d'importantes conséquences pour un certain nombres de secteurs industriels tels que la santé, le transport et la logistique, le service clientèle et la maintenance à domicile.

Soyons clairs, mon fils, qui a dix ans, ne pense pas avoir besoin d'apprendre à conduire, un jour, ou à devoir faire ses courses, parce qu'il dit qu'il n'aura qu'à cliquer sur ce qu'il veut pour le faire arriver.

Tous le fondamentaux de notre vie peuvent et seront automatisés: De conduire une voiture à faire ses courses !

Mais ils restent cependant très divisés sur l'impact que pourront avoir ces changements sur les chiffres de l'emploi et se partagent en deux groupes quasiment égaux, entre ceux qui espèrent que l'automatisation va générer des emplois et l'opportunité de redéfinir la relation de la société au travail et ceux qui décrivent un futur plus sombre ou la vague d'automatisation menace directement les emplois de service, et ou seuls les plus qualifiés s'en sortiront.

Ils envisagent que le chômage de masse de très longue durée conduise à des émeutes violentes.

Une inquiétude les rassemble, le système éducatif et les institutions politiques ne sont pas préparées à cette nouvelle révolution industrielle.

État des lieux de la robotique en 2025.

Si la culture populaire se plaît à nous présenter les robots et les applications de l'I.A. du futur en super-flic humanoïdes ultra puissant (Robocop, Terminator) ou en valets de chambres serviles et obséquieux (S3SPO des 'Guerres de l'Étoile' ou Robby de 'la Planète Interdite'), la plupart des experts qui ont participé à l'enquête, voient la technologie évoluer dans une direction qui ressemble plus à celle de '2001, l'odyssée de l'espace', avec des machines intelligentes profondément dissimulées dans les infrastructures de la vie de tout les jours et au travail comme HAL.

Pensez 'Intel Inside' !

En 2025, l'intelligence artificielle sera intégrée à l'architecture algorithmique d'innombrables fonctions de l'entreprise et des communications.

Augmentant la pertinence, diminuant les bruits de fonds, augmentant l'efficacité et diminuant les risques en général pour tout !

Nous serons reliés à des instruments d'assistance personnelle, la plupart à commande vocale, ça ressemblera beaucoup à ce qu'on pouvait voir dans Star Treck !

Nous attendrons des ordinateurs qu'ils nous reconnaissent, qu'ils anticipent nos besoins.

Notre rôle sera simplement de rectifier ou vérifier...

L'accès universel à la connaissance par Internet, met l'éducation telle qu'on la connaît sur la selette:

Pourquoi aller s'enfermer des heures dans une salle à attendre d'une personne qu'elle vous apprenne ce que vous pouvez vous même trouver à tout moment et n'importe où sur le web.

Encore faut-il savoir chercher !

Cette technologie rendue invisible, est appelée à remplacer ceux que certains appellent non sans mépris, les 'travailleurs invisibles' :

Combien d'entre nous se rappellent le visage du contrôleur dans le train ?

La vie des 'gens invisibles' sera particulièrement affectée puisqu'ils vont perdre leur travail, mais indirectement la vie de tous le monde le sera également, quand se fera sentir le manque de visages, de sourires, l'échange d'un simple merci.

Au fur et a mesure que des automates prendront place des humains dans la vie quotidienne, la politesse et la courtoisie, tomberont en désuétude, les usagers s'adresseront aux machines de manière impérative comme des hauts fonctionnaires à leurs subalternes.

La société pourrait se retrouver sur le chemin de l'isolement social, l'interaction humaine devenant un luxe  :

Observez ce qui se passe dans un aéroport, les gens sont assis les uns à coté des autres avec chacun un objet leur permettant de communiquer avec un autre objet.

Le monde va être plus bureaucratique et froid qu'il ne l'a jamais été.

Beaucoup prédisent l'avènement des voitures sans conducteurs :

Comment pourraient-elles faire pire que les humains égoïstes, agressifs, en état d'ébriété qui ont fait de nos routes des bains de sang depuis des décennies !

Leur apparition, à grande échelle, à tous les coins de rue, occasionnant de profonds bouleversements, à de multiples niveaux : design, ventes, assurance, aménagement du territoire, etc.

L'impact sera immense en simple terme de décongestion du trafic, suppression des bouchons aux heures de pointes et donc baisse générale des coûts d'assurance et de transport...

Les compagnies de Taxis et de livraisons vont devoir se séparer de leurs chauffeurs.

De nombreux experts prédisent le même genre de bouleversement au niveau des secteurs de la santé et du service à la personne :

Il y aura des robots dans les hôpitaux et les hospices. Des applications basiques de télémédecine seront mises à la disposition des populations isolées ou paupérisées.

Le concept de 'docteur-dans-la-boite' sera largement développé pour les premiers soins, et les procédures de base, pression sanguine, tests sanguins, etc.

Un certain nombre de réponses présentent cependant des inquiétudes quand à l'automatisation constante de la défense, de la surveillance et de la police :

Nous allons assister à l'arrivée des premières versions de robocop dans les rues.

Avec des outils de reconnaissance des sons et des images, la capacité de renifler les compositions chimiques pour identifier les explosifs et tout autre produit dangereux ou interdit.

Il seront probablement équipés de détection infra-rouge et de caméras thermiques, d'un système de détection faciale relié à un centre biométrique (inter)national.

La question intéressante est de savoir s'ils seront munis d'armes non-léthales et quelle sera la réaction des gens après que plusieurs bavures inévitables auront eu lieu ?

Beaucoup prévoient une avancée rapide, voire brutale, comme celle des smartphones, des robots dans la vie quotidienne durant la prochaine décennie, avec la généralisation des commandes vocales et de l'Internet des choses.

Un certain nombre, cependant, pense que les progrès de la robotique resteront limités :

La robotique restera une niche, avec seulement quelques applications marquantes dans le secteur bancaire ou celui des transports.

Tous les bugs et les vulnérabilités devront d'abord être corrigés avant que le marché n'accorde sa confiance.

Dix ans semblent pour cette raison, une durée trop courte pour que les robots ne quittent le sol des usines.

Le temps pour les engins autonomes de le devenir tout-à-fait, ce qui n'est pas encore le cas, pour être livrés à eux même.

Certains affirment que les facteurs sociologiques et politiques feront obstacle au 'tout-numérique', l'accumulation des régulations, la peur des responsabilités ou la résistance des foules, notamment, empêcheront les remplacements massifs d'emplois.

D'autre part il faut s'attendre à ce que des incidents retentissants, sinon des accidents graves, résultant de mauvaises décisions des machines et que jamais un humain n'aurait pris, n'occasionnent un rejet brutal de la technologie de la part de la population.

 

l'Emploi en 2025

N'importe quel pays qui veut une économie compétitive, s'assurera que la plupart des citoyens soit employés comme ça ils pourront payer en retour des biens et des services !

52% des experts interrogés attendent de l'arrivée massive des nouvelles technologies sur le marché du travail, un effet positif sur l'emploi, se basant sur l'histoire de la révolution industrielle ou le progrès technique a généré autant de nouveaux emplois qu'il n'en a remplacé.

A court terme ça détruit des emplois mais pas sur le long terme*, on ne trouve plus de garçon d'étage dans les ascenseurs en occident...

[*ndt - ''et sur le long terme nous sommes tous morts!'' Lord M.Keynes]

Les experts optimistes envisagent que les emplois vont se déplacer, au rythme de leur destruction, dans des directions qu'on ne peut même pas imaginer aujourd'hui : Conception, services, construction...

Un nouveau marché de l'emploi pour des salariés très qualifiés, bien formés et habitués à ce nouvel environnement technologique, va s'ouvrir.

Plus que jamais, nous avons besoin d'une armée de brillants codeurs pour créer, améliorer, réparer et apprendre aux robots à agir convenablement.

Mais nous auront toujours besoin de gens pour l'empaquetage, le montage, les dépannages de proximité.

Le col du future est une capuche !

De nombreux secteurs d'activités qui requièrent des qualités spécifiquement humaines comme l'empathie, la créativité, le jugement et une pensée critique ne pourront jamais être remplacé par de la technologie.

Les experts parient sur le fait que notre besoin de converser et d'avoir une interaction avec nos semblables empêcheront de nombreuses entreprises de faire le choix de l'automatisation totale.

Il faut dire la vérité, les ordinateurs ne sont pas si malins, ils peuvent opérer selon la logique mais il sont incapables d'inspiration, de créativité, ou d'intuition.

Les machines intelligentes suivent un programmes régit par des lois strictes et la loi a depuis le début eu besoin de l'intervention humaine pour éviter de se conduire comme une idiote.

Certains experts pensent que le travail humain, la human touch, devrait connaître une valorisation importante :

Quand vous irez dans un restaurant de qualité moyenne en 2025, ce sera toujours un serveur humain qui vous accueillera...

Le retour en grâce du fait-main pourrait conduire à une re-localisation voire une ré-humanisation de l'économie. Le concept même de Travail serait amené à changer radicalement.

Beaucoup espèrent, non sans angélisme, que le changement à venir permettra de renégocier le type de contrat social existant autour du travail et de l'emploi.

C'est une bonne chose, tout le monde veut plus d'emploi et moins de travail.

La notion de travail comme moyen de redistribution de la richesse, née avec la Révolution Industrielle devra évoluer, pour le bien-être de la société.

La fin du "bon travail"

D'un autre coté, 48% des participants sont convaincus que les applications de l'I.A. et des robots à l'économie, vont remplacer plus d'emplois qu'ils ne vont en créer d'ici 2025.

Est-ce que quelqu'un pense sérieusement que l'impression 3D va générer plus d'emploi qu'elle n'en a déjà détruit ?

Le processus est déjà en marche et la logique de notre économie va contribuer de manière certaine au remplacement de l'homme partout où cela sera possible.

Les syndicats paraissent complètement dépassés par le phénomène et se montrent incapables de prévenir l'apparition d'un chômage permanent et l'émergence d'un 'surplus humain'.

Environ la moitié de tous les emplois subira les conséquences de l'arrivée des systèmes autonomes et des robots, d'après une récente analyse menée à Oxford, seules subsisteraient les professions qui demandent des aptitudes spécifiquement humaines telle la créativité, l'heuristique.

La destruction d'emplois par la robotique qui avait surtout touché les 'cols bleus' jusqu'ici, arrive au niveau des services et menace de la même manière les 'cols-blancs', professions jusque là épargnées :

L'arrivée des avatars électroniques, avec de réelles aptitudes au travail, ne se compte pas en décennies mais en années !

De nombreux emplois administratifs de contrôle ou recherche de documents sont dores-et-déjà remplacés par des algorithmes de codage prédictif :

Dans dix ans il y aura des milliers d'assistants juridiques, et de médecins au chômage.

La classe moyenne glisse vers le bas.

De plus en plus de gens vont se retrouver éjectés du marché du travail à travers le monde, subsistant d'allocations, profitant de l'incroyable baisse du coût des produits.

C'est la fin du 'bon travail' pour une 'bonne paye'.

Les experts craignent que les emplois bien rémunérés ne deviennent extrêmement rares, et ceux qui seront assez qualifiés et compétitifs pour les obtenir pourront négocier des salaires de dix à vingt fois supérieurs à ceux d'aujourd'hui. L'écart entre les travailleurs hautement qualifiés et les autres va s'accroître donnant naissance à un sous-prolétariat :

Le gagnant prend tout !

Un profond fossé va se creuser entre ceux qui travaillent, même occasionnellement, et ceux qui ne travaillent pas du tout.

Le remplacement de la force de travail humaine par les machines intelligentes va conduire à une forme d'agitation sociale continuelle et éventuellement à des émeutes, tout en installant durablement une sous-classe d'inemployables.

Cela va faire de la vie des 1% au sommet, un paradis virtuel et un enfer bien réel pour les 99% en bas.

La situation leur parait aggravée par l'absence totale de propositions de la part du monde économique et politique, qui n'a, jusqu'à ce jour, présenté aucun projet, d'accompagnement durable, d'une évolution qui est, tout simplement, en train de détruire le modèle consumériste moderne.

Si les humains ne sont plus la meilleure machine pour faire le travail quelle va être leur place dans la société :

Que sont les gens pour un monde qui n'a pas besoin de leur travail et ou une minorité suffit pour faire fonctionner une économie robotisée ?

Que restera t-il, le Capital (propriété), la créativité (participation humaine), et peut-être, la compétition (sports, jeux, autres compétitions entre humains).

Des choix politiques et sociaux

Tous les participants se mettent cependant d'accord sur un thème qui revient souvent dans les réponses, le fait que les institutions sociales existantes, particulièrement le système éducatif, ne sont pas en mesure d'affronter les défis qui se présentent à elles.

Les experts interrogés s'inquiètent de savoir quel rôle va bien pouvoir tenir l'école dans un futur ou l'ensemble des connaissances sera accessible, immédiatement, à partir de son téléphone :

Les autodidactes s'en sortiront bien comme toujours mais la grande masse des gens reste formée pour une économie obsolète.

Seuls les mieux éduqués pourront rivaliser avec les machines et le système éducatif continue d'asseoir les élèves en rangs et colonnes, leur apprenant à rester tranquilles, en les préparant à une vie de salarié du XXe siècle.

Quel intérêt de continuer de satisfaire les besoins de Henry Ford d'avoir une force de travail compartimentée ?

Enfin, quelque soit l'avenir qu'ils imaginent, du plus utopique au plus dystopique, une grande majorité d'entre eux insiste sur le fait que rien n'est inéluctable. Ce sont -encore- des humains qui sont aux commandes :

Rien n'est gravé dans la pierre!

Ce n'est pas simplement parce qu'une technologie existe qu'elle doit être adoptée!

Une bonne raison pour laquelle les maisons intelligentes n'ont jamais vraiment été developpées, c'est qu'une maison stupide fait largement l'affaire.

Le techno-déterministe pessimiste pour lequel l'automatisation signifie une perte sèche d'emploi et la fin de l'histoire, contre le techno-déterministe optimiste, qui prédit de meilleurs boulots avec moins de travail, font tous les deux l'erreur de confondre issue possible et inévitabilité.

Tout dépend des choix politiques et sociaux.

Notre ville a des balayeurs de rue et a récemment introduit un programme de recyclage très efficace qui ne nécessite plus de tri sélectif.

Dans les deux cas les automates font, plus rapidement et à moindre coûts, un meilleur travail.

Mais le conseil municipal a remarqué que les bénéfices sociaux de ne pas introduire cette technologie mais de conserver les emplois des gens à la place, dépassaient de loin toutes les économies possibles.

Il faut bien se rappeler que nous avons le choix d'appliquer cette technologie totalement, partiellement ou pas du tout !

L'un des participants émet cependant une inquiétude très spécifique :

Si les seuls emplois restant sont ceux qui demandent de l'empathie comme qualité essentielle (enseignement, service à la personne, infirmerie) ce sont des emplois occupés essentiellement par des femmes.

La question est de savoir quel sera le rôle joué par les hommes dans le monde de la deuxième moitié des années 2020 ?

Liens :

Artzybasheff (flickr),

Enquête du Pew Research Center,

Nous n'avons plus besoin des humains (vid vostfr),

Actualité des robots en français